N°145 - Janvier 1966

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N°145 - Janvier 1966

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MEMOIRES MINORITAIRES
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arcadie
evue littéraire
t scientifique

145
treizième année

Janvier

1 966

REVUE PARAISSANT LE

15 DE CHAQUE MOIS

TARIF DES ABONNEMENTS

France, Italie, Communauté F rançaise ..
Etranger .......... . ..... . . . ....... .
Abonnement de soutien : 1 an : 45 F -

1 nn
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50 F

6 mois
19 F

A R C A D I E
REVUE LITTÉRAIRE

ET SCIENTIFIQUE

25 F

Etranger : 80 F

JANVIER 1966

TREIZIÈME ANNÉE

Abonnement d'Honneur : 100 F
Le numéro : 3,50 r«Arcadie )) est toujours expédiée sous pli fermé
Abonnements - Correspondances - Envoi de textes

«ARCADIE»
19, rue Béranger, Paris-3•·
Chèque bancaire ou C.C.P. Paris n• 10 664- 02

SOMMA I RE

au nom de « ARCAD IE »

La Direction reçoit uniquement sur rendez-vous.
les Auteurs qui sont avertis que leur texte n'est pas accepté
peuvent le reprendre à la Direction. Celle-ci décline toute
responsabilité pour les manuscrits qui lui sont confiés.
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réservés pom· tous pays, y compris l'U.R .S.S.
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Forbundet af 1948, Postbox 1023. Copenhague. K.
Forbundet av 1948. Postboxs 1305. Oslo. Norvège.
Riksforbundet for sexuellt likaberattigande
Box 850. Stockholm. I. Suède.
Mattachine, Mission Street, 693, San Francisco, U.S .A.
One. 2256 Venice Bd. Los Angeles 6 (U.S.A.)
Janus Sty. Room 229.34 South Seventeenth St. Philadelphia 3 (U.S.A.)
C.C.L., 29, rue Jules-Van-Praet, Bruxelles
Renseignements à « Arcadie »

-

« Copyright « Arcadie 1966 »
Le Directeur A. BAUDRY - lmp. Nouvelle - ILLIERS
Dépôt légal 1966. No 405 -

Imprimé en Fronce

BAUDRY . .. .. .. .... .

5

PORTAL

10

BERCY .. .... .. ..... .

16

U ne effrayante beauté, par R. F. . ..... . .... . .... . .

28

Colloque d'Anvers . .. . . . .. .. .... . . . .. .. . . • . • • • • • • •

31

GINET . . . . ... .

4

Pourquoi je ne suis pas chrétien et autres textes, de
Bertrand Russa .. . .......... . .. . .............. . .. . .. .

46

Treizième année, par

ANDRÉ

Le pèlerinage interdit, par
Plaisirs grecs, par

GEORGES

MAURICE

Le s<ityre dii bois, poème

d'ALBERT

L IVRES :

TREIZIÈME ANNÉE
par

LE SATYRE DU BOIS
Si triste, maintes fois,
Le satyre du bois,
Qui ne peut satis/aire
Sa passion de la terre,
V ers le ciel constellé
Soii vif regard élevé ...
Nous savons bien qu'il e.H
L<> poursuivant du Rêve!
ALBER1'

GINET.

A DORÉ

BAUDRY.

Fin 1953 ! Celui qui crea1t alors Arcadie était encore
parmi les « jeunes >, il est maintenant dans le deuxième
, el",ant. .. comme ceux qui furent alors ses premiers collahorntem·s. Car, on a souvent dit le conti·aire, Arcadie a
été créée par des homophiles encore jeunes. Son sérieux
fit croire qu'il s'agissait de vieillards!
Et Je temps passe et au seuil de cette tr e1z1eme année,
je yous invite, ami l ecteur, à me suivr e pour quelq ues
~ouvenirs qui voudraient vous donner une rapide image
de certains aspects de la vie d'A rcadie .
... Février 1955, un matin, au courl'ier la petite carte bleue... Préfecture de Police. Vous êtes prié de vous p1·ésenter... Eh oui, première convocation officielle des
Autorité;;. « Vous munir de pièces d'identit é et de toutes
pii::ces concernant la revue Arcadie ».
Jons é tions e n règle, mais on n 'aime pas recevoir une
telle convocation. J'avoue être parti vers la Préfecture le
cœur J1attan t, avoir gravi ]es escaliers de la Police Judiciaire
la suent· au front ...
J'y suis retourné bien des fois depuis... Hélas, certains
<l'entre nous conna issent aussi ces escaliers, ce couloir, cette
po1·te au fond : « Brigade mondaine ». Tout se passa fort
hien.
C'est ce premier jour qu'on me dit après une longue
<'Onver sation : « Mais c'est donc un apostolat! » A vous
de 1·épondre .
... Un matin, en ltalie, pendant des vacances, traversant
une place, le journal entr e ]es mains, parcourant les t itres,
et brisé, lisant : « L'acteur Guy Rapp se suicide».
Premier gala d'Arcadie au Palais d' Orsay organisé par
Guy Rapp. Des nouvelles littéraires avaient paru sous son
nom dans .la revue.

-5-

ANDRÉ BAUDRY

Cette année là, il avait eu l'honneur d'être l'organisateur
du fameux Gala de l'Union, au Cirque d'hiver. Il avait
un ami charmant que Paris avait acclamé dans la reprise
de « J'ai dïx-sept ans ». Il venait me voir souvent rue
Jeanne-d'Arc, il croyait à la mission d'Arcadie.
Et en cet été, il s'était jeté sous le rapide Vintimille
Strasbourg, après avoir erré quarante-huit heures dans la
campagne provençale.
Ainsi nous n'avions pu empêcher cet homme vieillissant
de douter de la vie, notre amitié qui se voulait - qui
se veut - agissante, réconfortante, protectrice, ne l'avait
pas arrêté sur le chemin de la mort.
Il y a eu depuis, en Arcadie, d'autres arcadiens qui ont
préféré mouxir que lutter, et dont l a société est la première
responsable de leur suicide, je songe souvent à eux, voulezvous, un instant, m'accompagner dans ce pèlerinage et
voulez-vous, qu'ensemhle, nous fassions le vœu, qu'étant
plus forts, plus unis, nous puissions empêcher de tels
drames?
... Une mère qtù m'accuse d'avoir détourné son fils du
&oit chemin alors qu'il a trente-cinq ans! Une mère qui
m'écrit du Languedoc, désespérée : « Mon fils a été imprudent, il est en prison, je suis seule, âgée, infirme, je vivais
avec son travail, je n'ai plus rien, sauvez-moi, sauvez-le»
Une mère qui a fait engager son fils dans la marine,
parce qu'il est homophile, qui vient me voir de nombreuses fois pour que j'accomplisse le miJ:acle, de le rendre
hétéi-ophile, et n'y parvenant pas!, m'accuse, veut me
traîner devant le tribunal...
Une mère qui a un fils qu'elle sait homophile, qui est
infiJ:me, difforme, qui, en le voyant, vous donne le frisson
et provoque des cauchemars, et qui supplie qu'on trouve
un ami à cet enfant mort-vivant...
Un père l1omophile, divorcé, qui a la garde de son
enfant de dix ans, qui vient et qui revient pour trouver
force, courage, paix, et pour qui le poids de tout est un
jour trop lourd, après de joyeuses vacances offertes à
l'enfant, dans un bois, dans sa voiture, tue son fils et se
tue lui-même.
... Et cent autres dont je n'évoque pas le souvenir, le
drame, mais qui furent un long moment dans la vie

d'A'rcadie.

-6 -

TREIZIÈME ANNÉE

Cette épouse qui découvre l'homophilie de son mari...
qui veut et qui ne veut pas le divorce, qui aime encore,
quî espère encore et qui vient aussi demander à Arcadie
le miracle.
... Comme ces garçons qui veulent suivre des traitements
particuliers, qui les suivent, qui v ont même se faire opérer
en Suède ou en Allemagne, que je revois transformés,
nouveaux êtres humains, et qui ont encore besoin de notre
aide, de nos conseils, de notre amitié.
... N'est-ce pas, vous, Madame, qtù restez avec un enfant
que votre mari homophile vous a donné, alors qu'il est
maintenant de ceux dont j'évoque le cas plus haut, et qui,
pendant des mois, êtes venu me voir parce que vous ne
saviez plus vine? ...
1953 ! J e ne savais pas alors qu'Arcadie serait aussi ce
merveilleux travail!
Alors qu'est-ce que sont des l ettres anonymes qui
souhaitent le mal, le crée. Des homophiles mécontents qui
claquent la porte en employant la fameuse formule du
Jotù1andeau « On fera fermer votre boutique par la
police!» ou qui menacent, même de mort!
Il m'est agréable de savoir que dans l'ennui, dans la
peine, dans le doute, l'homophile - même non arcadien
- vient frapper à notre porte.
Et c'est bien ce qui fait qu'Arcadie n'est pas surtout une
revue, mais une œuvre. Et c'est peut-être simplement là,
qu'il faut trouve1· la raison pour laquelle elle peut titrer :
« Treizième mutée ».
Ne point chercher des raisons obscU1·es et malhonnêtes
d'accords secrets conclus entre les Autorités et nous.
Ne point croire à un mécène, ou à des mécènes. Il n'y
eut jamais de mécènes en Arcadie. Je puis par exemple
citer même ce fait significatif. On sait que le Oub des
Pays latins est une Société. Un de nos actionnaires est
mort, il y a quelques mois, il a laissé une fortune considérable, formidable, incroyable; presque tout, selon son
testament, va à une congrégation religieuse, il n'a pas même
laissé les très petites parts qu'il avait chez nous à la
Société du Club. Et c'est ainsi que grâce à un décret signé
par le Premier Ministre, M. Pompidou, cette congrégation
religieuse a pu nous revendre les parts de notre Société
dont elle avait hérité! Nos statuts eussent été différents,

7-

ANDRÉ BAUDRY

TREIZIÈME ANNÉE

avouez qu'il eût été drôle d'avoir à nos Assemblées générales
un vénérable représentant de cette congrégation religieuse!
Arcad ie vit et se maintient par ses abonnés, elle regrette
seulement que depuis douze ans, plusieurs milliers aient
cru devoir abandonner. Certes, toujours de nouveaux homophiles viennent vers nous, remplaçant les partants. Ah, si
ceux-ci étaient encore parmi nous, que pourrions-nous
alors réaliser dans tous les domaines!
Outr e la revue qne nous pounions améliore1·, grossir,
l'endrc plus attrayante par des reproductions diverses, des
auteurs que peut-être nous verrions venir vers nous ,,i
nous les rétribuions, ou tre ce Club de Paris que nous
pourrions transformer, rendre plus attrayant, plus joli,
changer même de local pour y mieux organiser diverses
activités, nous pourrions surtout deux ch.oses. Deux choses
essentielles. Deux choses qui sont la raison d'être d'Arca.die.
D'abod, plus nomheux, donc plus ichcs, nous pourrions
mieux faire entendre notre voix précisément par l'organe
<le cette revue qui a le mérite de pouvoir être mise entre
toutes les mains de ceux dont la profession est de lire,
de méditer, de réfléchir, d'influencer l'opinion publique.
Dites-moi, n'est-ce pas rageant, alors que plus de cent
mille p ersonnes ont lu Candide, nous n'ayons pas pu
envoyer notre numéro de jtùn et nos 1·éponses à même
seulement mille ou deux mille personnes bien choisies?
Un autre exemple, n'est-il point dommage que nous ne
puissions envoyer tel numéro d'Arcadie qui a envisagé le
problème religieux à un nomb1·e important de théologiens,
de professeurs de séminaire, de religieux?
Seulement pour notre fameux numéro 82 : « Que sa.vo11snous de l'homophilie », édité lors des évènements majeurs
du Parlement, en 1960, un effort considérable a été fait
(On peut d'ailleurs toujours nous demander ce fascicule,
il faut largement le distribuer, le faire connaître autour de
soi, notabilités diverses, relations, amis, homophiles) .
Nous avons certes un service de pi-esse, à l'échelle de
nos moyens. Mais c'est trop peu. Arcadiens, homophiles,
pensez-y.
Et deuxième chose : les homophiles eux-mêmes.
Il n'y a pas que les besoins spirituels, moraux. A ceux-là
nous répondons toujours et facilement, sans toujours réussir certes, mais il n'est plus question d'argent. Il y a des
besoins humains, temporels.

Ob, j e sais! En douze ans, il m'est arrivé d'aider de
nombreux arcadiens, et la gratitude étant un poids très
insupportable, nombre d'entre eux ont disparu, certains
sont allés jusqu'à m'insulter ou raconter des histoires
ahurissantes sur Arcadie. Mais il y a des cas valables, intéressants, nobles. E t nous pouvons si peu, pour ne pas dire :
rien.
Je sais, l'bomophile est très indépendant, très individualiste, l'homophile riche n'est pas généreux, ou bien,
hélas, il est seulement généreux, t.J:op souvent, très souvent
malencontreusement, pour ses aventures, ses désirs, ses
« amours ».
L'homophile a peur du lendemain, même celui qui a tout
on heaucoup, qui a une situation privée, il craint le chantage, il craint une mauvaise histoire, il craint même des
lois qui en un instant, condamnant l'homophilie, l'obligerait à je ne sais quelle fuite (Ne rions pas, en ce juillet
60,de vénérée mémoire, des centaines d'homophiles, souvent
inconnus, nous ont écrit, nous ont téléphoné, pour noua
demander s'il fallait tout vendr e, tout liqtùder, préparer
sa valise et partir. On nous demandait même ve1·s où il
fallait aller. La déhâcle, le délire aussi; l'exode... la fuite
en Egypte!!!).
Pardonnez-moi. J'ai commencé cet article par de l'émotion, et j'ai l'ail' de l'achever avec une question de « gros
sous».
Je pourrais vous répondre qu'il n'est pas un parti politique, un syndicat, une œuvre noble, comme la CroixRouge, jusqu'aux dive1·ses églises et religions, q1,ù ne t iennent un semblable langage.
Nous ne sommes pas un organe de presse comme les
quotidiens, les hebdomadaires ou les mensuels que vous
achetez et lisez.
Mais nous sommes bien à l'instar d'un parti, d'un
syndicat, d'une œuvre, d'une église.
Pêle-mêle, ami lecteur, cher Arcadien, je vous ai tout dit.
Ne soyons pas surpersticieux, mais treizième année!!!
Année de Bonheui- pour chacun de vous!
Année de prospérité, année de mil'acle pour Arcadie???

-8-

-9 -

ANDRÉ BAUDRY.

LE PÈLERINAGE INTERDIT

LE PÉLERINAGE INTERDIT
par

GEORGES

PORTAL (1).

Pour mon cher Willie en qui
ma jeunesse revit dans le meilleur
d'elle-même.
Un jow: de septembre 1955, la pluie battait contre mes
·t es le Ion" desquelles elle dégoulinait en petits ruisseaux
v1
'
"
.
. 11es_ de p rovence,
de r cristal;
une
de ces plmes
torrentl?
ui noient en un instant les rues et les pi-dms...
q Abandonnés sous la bourrasque, mes grands fauteuils
·t ansatlantiques 1·apportés de Singapour agitaient dans le
r
.
·ardin
lem·s toiles m ul.
tlco1ores d'etrempees.
J C'est à peine si je pouvais entrevoir de ma fenêtre, à
travers Je dense réseau de l'averse, les pins, pourtant tout
roches, qui prenaient des allures de fantômes.
p
. d
.
.
Désœuvré, pour tromper mon ennui e me sentrr pnson·er J·e m'assis devant mon vieux secrétaire Empire aux
Ill ,
. J'ouvris
. machin a1ement un des
·iatides de bois d ore.
:~irs de ce meuble bourré de documents anciens et de
ivenirs de famille. De petits paquets soigneusement
soi
.
.
elés
et étiquetés s,offnrent
a, ma vue... Que de ch'eres
f lC
l'

·

C e11e de maman, f'1ne
• .·tures dormaient a, cote a cote...
ecn
,
. mais
.
t aristocratique, cel 1e d e mon pere,
e·1·egante aussi,
l•uu caractère net~~ment commerc~al... C~lle de mon,!rè1:e,
désordonnée, inqUJete, _se~blab~e. a la m1e~ne pa\ 1 ?pais. cle ses traits et son inegulante... Tant d autres ecntures
seur
.
. ..
d
d'
. d"
.
encore, jadis famil1eres, e parents ou
anus 1span1s.. .
Je pi·is quelques liasses, sans savoir laquelle j'ouvrirais.. .
L'odeur de ces vieux papiers s'exhalait du til-oir, une odeur
(1) Tous les Arcadiens connaissent le nom de Georges Portal,

t ur d'Un Protestant. La présente nouvelle, inédite, a été remise
:u Direction d'Arcadie i::Iusieurs années aprè~ la mort de s?~
1
autew·,
par un de ses amis, que nous t enons a en remercier 1c1
publiquement.

!

-10-

de sépulcre, 1me odeur de mort, contre laquelle ma sensibilité a toujours été sans défense. Je n'ai jamais pu détruire
ces souvenirs de ma jeunesse, ces lettres où je l'etrouve
encore les âmes de ceux que j'ai tant aimés.
Comme j'achevais de vider le tiroir, dans le dessein de
relire quelques-unes de ces épîtres avant de les remettre
en ordre, un petit paquet attira soudain mon attention,
un paquet enveloppé d'un papier jaune, lié pa1· une mince
ficelle grise et portant un seul nom : Gilbert...
En un instant je me rappelai le nom et revis le visage...
Gilbert, mon matelot... Quel joli roman! Quelle belle
histoire! Gilbert! ...
Je l'avais rencontré un dimanche après-midi, par une
journée d'été de 1915, pendant la guerre. Blessé, j'étais
reven u du front dans ma garnison, la petite cité de Ryens...
portant l'uniforme de sous-officier de dragons et ma Croix
de Guerre toute neuve. Assis dans le jardin d'un café de
la ville, où l'on présentait sur tme petite scène des attractions médiocres de music-hall, je vis entrer un marin qui
alla s'attabler non loin de moi, un beau garçon très jeune
de visage et de col'ps, large d'épaules sous son col bleu,
la physionomie ouverte et sympathique.
Dès cet instant, je ne regardai plus que lui. Il s'en aperçut
très vite, mais se garda d'en rien laisser paraître.
J e pal'vins à me faire donner son nom par un de ses
amis, qui me promit de l'amener chez moi on de me
l'envoyer.
Il vint le lendemain.
J e conserve de cette visite un souvenir qui ne s'effacera
jamais. Le matelot entra dans ma salle à manger. Il était
seul, un peu embarrassé et ne sachant tout d'abord justifier
sa venue.
De mon côté, je ne savais quelles paroles prononcer.
Nous nous regal'dâmes un instant, (ace à face, immobiles,
muets.. Puis ce fut inattendu, incroyable, foudroyant!.. .
Il vint à moi, posa son béret au pompon rouge sur la
table et m 'embrassa, sans un mot, sans un geste qui eussent
pu me laisser prévoir cette attaque.
Notre baisel' nous riva l'un à l'autre dans un paroxysme
de sensualité réciproque et dura longtemps... Il me tenait
serré contre lui, de ses deux bras robustes et l'odeur chaude
de son torse viril s'exhalait du tricot rayé entl:ouvert sous
mes narines. J'avais pris sa tête entre mes mains, mes
doigts jouaient dans ses cheveux... Nous étions restés

-11 -

GEORGES PORTAL

debout, tout rayonnants de fierté, de surprise et d'amour,
comme la statue vivante d'un couple.
Ce qui se passa ensuite, on le devine : Gilbert resta...
Mais la nuit que nous passâmes ne ressembla point aux
autres nuits de plaisir que j'avais connues auparavant. Pour
la première fois de ma vie, mon cœur était entré dans la
danse... Il se sentait en harmonie avec mes sens et celui
de Gilbert battait à l'unisson du mien, sans même s'en
douter encore. Un élan nous emportait à notre insu bien
au-delà de nos sensualités éveillées.
Puis nous fîmes des projets d'avenir...
Malheur eusement, la séparation suivit bientôt. Gilbert
1·egagna Toulon, son port d'attache, et notre joli amour
tout neuf se réfugia dans nos lettres, ces lettres rangées
avec soin autrefois dans le paquet que je venais de retrouver et que j'allais rouvrir.
Très ému, les doigts un peu tremblants, je dénouai la
ficelle et dépliai le papier jaune, clos depuis quarante
ans.
J e reconnus immédiatement l' écritm·e familière qui
faisait battre mon jeune cœur lorsque je la voyais sur
les modestes petites enveloppes bl anches maculées par le
tampon violet de la ma1·ine « Service à la mer » orné de
son ancre symbolique.
Auprès de ces lettres qui dormaient là, je trouvai quelques reliques oubliées pour mon cœur ingrat : trois photo•
graphies et un ruban de béret...
Une de ces photos, la première que Gilbert m'envoya, le
montrait dans sa polie tenue d'été, à pantalon blanc. J e
r etrouvai facilement la l ettre qui l'avait accompagnée :
« Cher Georges,
« Mon voyage s'est très bien passé. Je t'envoie ma photo
comme je te l'avais promis. Il faut espérer de se revoir
bientôt et l'on pourra rattraper le temps perdu. Dans
l'attente de recevoir une petite lettre, reçois wi long baiser
et une cordiale poignée de main.
Gilbert.»
Pendant quelques mois cette correspondance se poursuivit, régulière et fidèle...

« Je n'<ii pas rencontré encore un girond béguin comme
toi... >>
« Je t'envoie mille baisers de ma sozite ... »

-12-

I.;E PÈLERINAGE lNTERDIT

<< ]' ai reçu ta photo, qui est très bien faite. Il me semble
quand je la regarde, que tu es devant mes yeu.x. Aussi,
quand je l'ai reçue, je l'ai embrassée... »
« J'aime mieux un homme qu'une femme. »
Parfois il m'apprenait les potins du bord :
« L'autre jour, il y a deux types qui se sont fait prendre
da.ns les bastingages à faire de l'amour. Ils ont été punis
sévèrement, alors il faut ouvrir l'œil et le bon!»
Il n'aimait pas les « grenouilles» et s'appliquait à ras•
surer ma jalousie :
« N'aie pas peur, va, des femmes. Tu crois parce qu'il
y <i longtemps que je 1i'ai pas été à terre, que je vais me
jeter sur elles comnie un fou, comme des gens qui ne
savent pas vivre. Non, ne pense pas à cela, car elles me
dégoûtent totalement. Voilà déjà trois jours que je vais
à terre, je n'y ai pas encore touché, alors tu vois que sur
ce sujet, tu peux être trnnquille. »
Son « Yacht »... le cuirassé Bretagne, 1·epartit pour l'île
de Corfou.
« Je t'envoie mes meillenrs baisers, car je n'en ai laissé
nucun à Toulon. ]'éta.is sage pour toi. Je t'embrasse. Ton
Gilbert.»
Ces jolies lett1·es étaient autant de chapitres de notre
]Jeau roman.
Aucune ne manquait dans ce paquet que je venais de
rouvrir. Je les avais soigneusement numérotées. Beaucoup
étaient éc1·ites sur son original papier rouge-groseille que
je lui avais acheté pour 1·econnaître plus vite entre les
mains du vaguemestre les messages d'amour qui faisaient
battre mon cœur.
Et voilà!. ..
Tant de baisers, tant de tendres confidences... Tant de
beaux projets d'avenir... Tant cela tombé dans l'oubli, dans
l e flot tumultueux des années et je ne retrouvais que ces
épaves!
Ce fut ma faute.
Nous nous étions revus, pourtant. A la fin de l'année
1915, Gilbert avait pris une permission d'une semaine,
qu'il n'avait pas avouée à ses parents. C'est dans la grande
ville de Garandes, que nous nous retrouvâmes. Fidèle au
xendez-vous, il me rejoignit et nous tombâmes dans les
bras l'un et l'autre sur le quai de la gare, au jour convenu.
Loin de chercher à sauver les apparences, nous faisions

-

13 -

GEORGES PORTAL

tout pour afficher notre liaison, pour étaler notre bonheur.
Chaque matin, nous allions ensemble chez le coiffeur, nous
faire bichonner et raser, et ne manquions jamais, uniquem ent préoccupés de nous-mêmes, d'échanger dans la glace,
avec une joie puérile, des si gnes d'intelligence si gnificatifs
et affectueux.
Ce tte permission passa comme un beau rêve.
E ntre Gilbert et moi, cependant, il y avait des liens
plus profonds... Notre passion sexuelle se doublait d'une
tendresse particulière, telle que j'en avais jamais
éprouvée auparavant chez mes partenaires amoureux.
Certes, son corps ardent, dont je connaissais tous les secrets
délectables, dont la chaleur, le contact, l'odeur saine et
virile, me transportaient, ses baisers indéfiniment prolongés
dans une extase mutuelle, faisaient de nos nuits des noces
frénétiques; mais son âme simple, foncièrement honnête,
riche d'une honté qui ne se démentit jamais, avait fait de
moi son captif sur un plan bien plus élevé.
Notre liaison avait des racines trop profondes pour ne
pas comporter le goût et le besoin de la durée... « Après
la guerre, nous vivrons ensemble... » disions-nous sans
cesse.
Avant de nous séparer, nous nous fîmes photographier.
Cette photo était jointe aux lettres. Gilbert, assis sur
une sorte de stèle, comme les photographes de cette époque
aimaient à en utiliser, portait cette fois sa tenue d'hiver,
le caban aux deux rangées de boutons dorés, l'épais maillot
de laine bleue contre lequel j'aimais à poser ma joue pour
y trouver la chaleur de sa poitrine. J 'étais debout à côté
de lui, la m.ain droite posée sur son épaule, dans ma
tenue de Maréchal des Logis.
Quarante années ont p assé sur nos visages mais je
reti:ouve sur cette modeste carte postale, notre jeunesse
indélébile ment ibcée... le petit nez com·t et spirituel
de Gilbert, les fossettes ch armantes de sa bouche aux
baisers généreux et son t·egard clair, couleur d'horizon.
H élas, nous ne devions plus nous revoir!. ..
Comment cela s'est-il fait?
Auprès de toutes ces letlJ:es pleines de rêves et de projets
d'avenir, était plié le ruban, portant en lettres d'or terni
l'inscription « Bretagne»... « Je t'envoie un ruban que j'ai
porté le dimanche pour aller à terre et pour m e changer
à bord, les jour <finspection... »

-

14 -

l.E PÈLER INAGE INTERDIT

Et puis ce dernier billet :
« Tu m'as fait comwître le vrai bonheur. »
Un long moment, je suis r esté devant ces lettres, ces
photographies et le ruban. Au dehors, la pluie continuait
de battre mes carreaux, tandis que le passé me submer geait
et que ma jeunesse venait me demander des comptes...
C'était moi le coupable et je le savais bien. J'avais promis
à Gilbe1·t de lui consacrer m a vie. Il m'avait cru. Et je
avais trahi. Etait-ce to ut à fa it ma faute?... Les circonstances, la guerre interminable ... accablante...
Oui. j e me souvenais de tout. On m'envoya en garnison
à T unis. Et là, je rencontrai un nouvel amour qui me prit
tout entier. Que pouvait le pauvre Gilbert contre cet
amour là? Il n'avait d'autres armes que ses l ettres et je
ne lui r épondais plus. Trop délicat, il ne se défendit point
et s"effaça... Ma vie prit un cours nouveau... J 'oubliai...

r

Mon nouvel amour dura quatre ans. J e connus un bonheur
parfait auprès de l'ami de mon choix.
Nous finîmes la guerre ensemble, nous battant au front
côte à côte jusqu'à l'armistice de 1918. A notre démobilisations, nous unîmes nos destinées, ne nous quittant plus.
J'avais enfin le foyer de mes rêves et, pensais-je , pour
tonte ma vie...
Hélas, un jour, mon ami me trompa. Je l'appris. Ce fut
un cruel réveil.
Pendant un an, je lui demem-ai fidèle, espérant le r econquérir e t ne pouvant m e résoudre à le perdre.
Lorsque cette rupture fut consommée, mon cœur se
souvint alors de Gilbert. Lui seul, pouvait m e rendre la
joie et la stabilité. Je le compris enfin, trop ta1·d, et fis
des efforts désespérés pour retrouver sa trace.
Ce fut en vain. Toutes mes lettres m e furent retournées
avec la mention : « Pa1·ti sans adresse ».
Alors, je refermai le petit paquet jaune et le laissai
dormir dans mon vieux secrétaire parmi mes reliques, avec
l es photographies et le ruban bleu aux lettres d'or q u 'i1
contenait.
(A suivre)
GEORGES

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15 -

PORTAL.

PLAISIRS GRECS

de cigarettes, l'une des seules boutiques à être encore
ouvertes :
- Mil a te ghalika?

Assurément Maître Touzet n'avait pas encore été mis au
courant des habitudes du pays. Pour se promener ainsi à
deux heures de l'apr-ès-midi, en plein juillet, sous le soleil
du Péloponèse, il faut être, dit-on là-bas, soit un touriste
français, soit un fou. Maître Touzet appartenait à la première catégorie; la chemise collée à la peau, les deux bras
soigneusement écartés du corps pour favoriser l'aération
des aisselles, il escaladait des ruelles désertes à la recherche
du bureau de poste d'où il lui serait possible de téléphoner
à son agence de voyages d'Athènes. Il était arrivé la veille
dans un grand bat~au blanc rempli de compatriotes . et
venait de passer une nuit sans sommeil et de fafre connaissance avec la moiteur d'un lit très dur, les sifflements ~octurnes du petit train local, et les modulations variées des
avertisseurs sur lesquéls les chauffeurs de camions s'exercent à composer de/! aÎl'.s inédits. Mais la pensée de toutes
les belles choses qu'il allait voÎl' pmu- la première fois soutenait son courage. Il se souvenait d'avoir été autrefois l e
meilleur helléniste de sa classe, et de s'être passionné pour
les curieuses histoires que nous conte la mytholoaie, les
tragiques destins des héros de Sophocle, ou les effort; désespérés de Démosthène poui- défendre une démocratie moribonde. Il fmùait enfin cette terre dont les dieux firent le
berceau de la pensée libre comme de la beauté. Dans
quelques jours il verrait l'Acropole et se promettait de s'y
réciter à lui-même la célèbre prièi-e qu'elle avait inspÎl'é,
il y a un siècle, à Renan, et qu'il connaissait presque toute
entière par cœur. Il verrait Delphes, et les P hédriades, et la
source Castalie, et le lieu où la Pythye rendait ses oracles...,
le stade d'Olympie où parurent nus les beaux athlètes chantés par Pindare... Epidaure, Corinthe, Eleusis...
Son guide bleu lui avait appris la manière de demander
aux Grecs s'ils parlaient français; aussi est-ce avec une certaine assurance qu'il s'approch a de l'échoppe d'un vendeur

Visiblement l'autre se demandait en quelle langue on
venait de s'adresser à lui : il leva les bras en signe d'impuissance, et Maître Touzet, secrètement ulcéré, poursuivit son
chemin. Il avait dû mal placer les accents toniques, c'est
pourquoi le vendeur ne l'avait pas compris; puis il se dit
qu'il pouvait très bien avoiJ: compris, et que son geste signifiait simplement qu'il ne savait pas répondre en français.
Des gens informés l'avaient assuré qu'on se débrouille très
bien en Grèce avec le français parce qu'un grand nombre
de Grecs le connaissent un peu. Evidemment il avait eu tort
de s'adresser à un vendew· de cigarettes, qui sans doute
n'était pas allé beaucoup à l'école dans sa jeunesse. Il déchiffrait les enseignes et le nom des rues en se disant absurdement qu'il y découvrirait peut-être l'endroit où se cachait
la poste, et en réalité pour se convaincre que ses connaissances de grec ancien ne lui étaient to1.1t de même pas
complètement inutiles. Un groupe de quatre ou cinq garçons passa devant lui, et il se sentit observé avec une cert aine attention. Le « milate ghalika » de tout à l'heure lui
l'evint aux lèvres, mais il craignit que la même scène ne se
reproduise, et il les laissa s'éloigner. D'ailleurs, à mesure
que ses réflexions devenaient plus profondes, il se dit
qu'après tout il était stupide d'employer le grec pour
demander à quelqu'un s'il pai-lait français : on pouvait tout
aussi facilement s'en apercevoir en lui disant : « Parlez-vous
français?»
Les garçons s'arrêtèrent à une quinzaine de mètres et se
mirent à regarder sans se gêner ce tom·iste visihlement
égaré. Maître Touzet se dit qu'il a1.u-ait l'air sot s'il les lais;;ait ai11si contempler son embarras; il s'approcha :
- Parlez-vous français?
Le cercle s'ouvrit et l'un d'eux, qui pouvait avoù- seize
ou dix-sept ans, s'avança :
- Couci-couçà, fit-il en agitant ses mains devant lui, de
manière à en tourner la paume tantôt vers le haut tantôt
vers le bas, comme on le fait pour exprimer des affirmations sujettes à caution.
Quand Maître Touzet lui eut expliqué ce qu'il cherchait,
il abandonna ses compagnons et se fit spontanément son

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PLAISIRS GRECS
par

MAURICE

BERCY.

MAURICE BERCY

cicerone à travel·s l es rues étroites; à cette heure-là, lui
expliqua-t-il, le bureau de poste sera fermé; il faudrait
attendre quatre heures et demie. Maître Touzet lui proposa
un rafraîchissement pour l e 1·emercier d e sa gentillesse, et
ils s'installèrent au fond d 'un café, sur de vieilles chaises
de p aille, devant une petite table à dessus de marbre. Le
jeune homme avait de grands sourcils très noirs, un visage
fin, très bronzé, a1L-.: traits encore un peu enfantins, et de
lon!?ues mains qu'il agitait beaucoup en parlant, comme
pour rendre plus explicites les mots français dont il n'était
pas ;;fn·. Pour répondre à ses questions, Maître Touzet dut
avouer que son prénom était Flavien, qu'il avait trente ans,
et ext>rçait d epuis deux ans la profession d'avocat dans une
ville de province. Cette curiosité l'amusait; il se demandait
s'il ne s'agissait pas après tout de marques d'intérêt véri•
tables, et il pose à son toU1· le même genre de questions.
Le garçon s'appel ait « Joseph », et était élève de l'institut
fran~ais de la ville; plus ta1·d il essaierait d'êt1·e capitaine
de navir e, mais auparavan t il devrait aller à Athènes fai1·e
sa « philosophie » parce que son père, qui était professeU1·,
l'exigeait. Flavien Touzet ne démêlait pas très bien, dans
les exp1ications que lui donnait son compagnon, ce qui pouvait être VI"ai de ce qui était p eut-être légèrement arrangé
ou parfaitement inventé. Mais il lui importait peu de le
savoir, et de toutes façons l'accahlement dans le quel le met•
tait la chaleur ne lui permettait guère l'exercice de son
esprit critique. Saisissant un journal qui traînait sur la table
voisine, il essaya de s'en faù-e tr adu ire les principaux titres,
afin de savoh- ce qui se passait dans la capitale; un étudiant
y aYait été tué au cours de manifestations la semaine précéd ent e, et il se demandait s'il était prudent de s'y rendre
pour le moment. Mais Joseph n e parnissait p as s'intéresser
beaucoup à la politique, et Flavien n'obtint que de va!);ues
indications.
Pendant qu'ils buvaient leur limonade et le grand vene
d 'eau fraîche qui accompagne là-bas toutes les consommations, des garçon s vinrent s'asseoir à l'entrée du café, et
FlaYien se demanda si parmi eux n e se trouvaient pas un
ou plusieurs de ceux qui accompagnaient Joseph tout à
l'heure. Il fut incapable d'en reconnaître aucun avec certitude, mais il lui sembla surprendre un signe de connivence
entre eux et son compagnon. Il lui parut évident, à leurs
regards et à lew·s gestes, qu'ils parlaient de lui; J oseph
affirma pourtant ne pas les connaître. Que signifiaient leurs

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PLAISIRS GRECS

sourfres? L'avocat, qui pas un instant n'avait e ncore songé
à mal, eut pendant quelques secondes le sentiment que
Joseph savait mieux que lui ce qu'il voulait.
Celui-ci l'emmena ensuite en direction de la place centrale du hotu-g, et lui proposa de venir le r etrouver en cet
endroit une heme plus tard. Quoiqu'un peu étonné, Flavien
accepta avec plaisir, et se rendit en attendant an bureau
de poste indiqué. L'établissement venait d'ouvrir, mais ne
paraissait pas disposer de la moindi·e cabine téléphonique,
et quand il eut réussi à faire comprendre ce qu'il désfrait,
un vieil homme à moustaches blanches, qui v enait de déposer des lettres au guich et, lui fit sign e de le suivre; il le
conduisit à quelques pas de là devant un kiosque à journaux dont le tenancier connaissait quelques mots d'anglais.
Ces kiosques jouent le rôle de nos cabines téléphoniques
publiques et disposent tous d'un appareil. Flavien chercha
dans son agenda le numéro à demander et le tendit au vendeur; celui-ci annonça que la communication coûtait
soixante drachmes, et paraissait vouloir être payé d' avance.
Flavien lui acheta en même temps des cigarettes avec un
billet de cent drachmes. Il parvenait encore difficilement à
se faire une idée exacte de la valeur de cette monnaie, et
sans songer à vérifier les quelques pièces que l'autre lui
rendit, il attendit la communication. Malheureusement le
numéro qu'il venait d e donner n'existait pas à Athènes; il
lui vint à l'idée qu'en effet c'était peut-êtxe celui de son
dentiste, qu'il avait n oté sur son agenda à la da~e du
15 aoùt, par ce qu'il devait pren dre un rendez-vous d ~s ~on
retoU1·. Quand au numéro de son agence de voyages, 11 fallait se rendre à l'évidence : il ne l'avait pas sur lui.
Il n'eut guèI"e le temps de philosophe1· sur sa déception
et sm l es méfaits de ses continuelles étourderies, car il
s'entendit interpeller par son prénom, se retourna, et Yit
Joseph auprès de lui; il avait seu lement pris le temps
de r empl acer sa chemise hrune par un sweater d'une
irréprochable blancheur et se retrouvait ici avec trois
quarts d'heure d'avance sur le rendez-vous. Ils allèrent
ensemble consulter l'annuaire téléphonique au bureau
du télégraphe, qui se trouvait dans les bas quartiers
au bord de la mer, mais il fut impossible de découvrir
le numéro ch erché. Flavien expliqua qu'il devait mainte•
nant aller récupérer auprès du marchand de journaux l es
soixante drachmes qu'il lui avait données tout à l'he ure

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MAURICE BERCY

PLAISIRS GRECS

pour téléphoner; mais celui-ci p1·étendit les avoir i-endues
avec la monnaie des cigarettes, et semblait si sûl' de lui
que les convictions de l'avocat en furent ébranlées; il s'installa donc avec son compagnon devant une table de café,
pl'Ît un cxayon et du papier, et se mit à faire le compte de
ses dépenses de la journée. Finalement les calculs, pris en
main par Joseph, sembl èrent prouver que le marchand
avait raison. On r it de l'aventul'e, mais Flavien se dit avec
une certaine confusion que, quelle que soit la vérité, il
jouait dans la farce le rôle du badin.
Joseph l'aida ensuite à faire l'acquisition d'un petit dictionnail'e et l'emmena flâner au jardin public. Là il lui
expliqua que son pè1·e se trouvait pour l'instant à Athènes
et que jusqu'à son retotu- il allait se trouver un peu à court
d'argent; une vin gtaine de d1·achmes feraient bien son
affaire. Flavien lui en donna cent, et ne fut pas mécontent
de voii- les événements prendre une toui-nm:e plus claii-e.
Le jeune homme lui proposa de Je retrouver le sofr même
à onze heures, au « dancing » de Coumhi-ai, dont il lui
expliqua l'emplacement.

cat gardait encore à ce moment-là des doutes sur les intentions du garçon; celles qu'il paraissait poUitant de plus en
plus logique de lui supposer s'accordaient mal avec sa jeunesse, son air candide et presque enfantin; jusqu'à présent
pas un mot n'avait été dit, pas un geste n'avait été fait, pas
un regard échangé qui fut le moins du monde équivoque
et permit la moindre conclusion. Flavien n'était pas habitué à tant de naturel. Il aimait d'ailleurs cette incertitude,
et il ne lui aurait pas déplu de pouvou: la prolonger encore.
Ils 1·encontrèrent un pêcheur de crustacé.; muni d'une
lanterne, l'obse1-vèrent un instant, p uis Joseph prit son
compagnon par la main et lui fit escalader au milieu d'un
fon.rré d'al'bustes la petite pente fort raide qui bordait le
rivage. Il s'arrêta à la lisière d'un pré et proposa de s'y
asseoir. Flavien comprit qu'on en était à la phase caressante, mais à peine eut-il placé sa main sur l'épaule du
garçon qu'ils fm-ent dérangés par une lampe électrique qui
faisait d'étranges zigzags dans les parages et se rapprochait
dangereusement. Ils reprirent leur chemin , u·aversèrent la
route et la voie ferrée en corniche, puis s'instaJlèrent là où
ils purent au milieu des broussailles.

Il s'agissait en 1·éalité d'une petite guinguette au bord de
l'eau : une vingtaine de tables en plein air et un jukeboxe qui servait des chansons cl'Aznavoui-, de Bécaud,
d'Enrico Macias, accessou:ement quelques bouzoukis pom·
les toui-istes amateurs de folklore. Joseph arriva vers
onze heures quinze et dîna d'une côtelette, avec cette frugalité que la chaleur du climat, la sécheresse du sol et l'état
des portefeuilles imposent depuis toujours à la plupart de
ses compatriotes. Il parut sm·pris que Flavien le laissât manger seul, mais celui-ci n'avait pas coutume de recommencer
ses repas et prenait toujours gr and soin de ne pas contrarier
ses habitudes alimentaires; depuis son ru:rivée il manquait
d'ailleurs d'appétit. Il s'étonnait de constater à quel point
ce garçon paraissait déharrassé de la tutelle familiale. Même
en admettant qu'il savait au mieux metu·e à profit l'absence
cle son pèi-e, comment concevoir facilement qu'on se préoccupe si peu, à la maison, de savoir où il prenait ses r epas?
En comparant avec sa propre adolescence, F lavien Touzet
éprouvait une sorte cle léger ve1·tige.
Vers minuit Joseph p1·oposa de fail'e une promenade le
long de la plage. Si cui-ieux que cela puisse paraître, l'avo-

(J e suis contraint d'interrompre ici ma nanation. Montaigne dirait :
« Que si j'eusse été entre ces ,wtions qu'on dict vivre
micore sous la. douce liberté des premières loix de la nature,
Ma.is quoy! il n'est rien illégitime, selon ce que portent nos
usages, à conter dans le menu les vicieuses façons qiœ les
hommes ont trouvées de se faire du mal par supplices, étripeme1its, empalements, égorgements, cou1>s d'épées ou
d'espingoles, rôtissements par engins lance-flammes, etc...
Mais q1umt à quelques procédés, à la vérité moins divers,
qu'ils ont de s'entre-bienfaire, il n'en va point ainsi; car
encore les 1wmme-t-on obscènes, qui vient de ce qu'ils sont
tenus pour très messéants à mettre en montre et indignes de
no.~ scènes; et n'oserais aller contre une opinion si generalle et seins doute très sa.g e, pztisqu'elle a, pour elle notre
sainte Eglise Ca,t holique et Romaine, la puissance de nos
loix et du bras séculier, et d'être reçue dans quasi toutes les
contrées de notre monde civilisé ».
Reprenons donc notre récit une demi-heure plus tard.)

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MAURICE BERCY

C'était la première fois que Maître Touzet prenait ses
ébats sous les étoiles, avec un partenaire aussi jeun e, et se
mettait aussi nettement en infraction avec les lois; mais son
m étier l'ayant amené à fréquenter celles-ci journellement
et à en remarquer les multiples infirmités qui éch appent le
plus souvent aux communs citoyens (certaines étaient
borgnes, d'autres sourdes, d'autres boîteuses, d'autres même
sans mains, ou sans cœur, ou sans cervelle), elles ne l'impressionnaient plus suffisamment. Il n'éprouvait pas non
plus le moindre remords; il regrettait plutôt que son plaisir
ait été partiellement gâch é par les conditions très inconfortables dans lesquelles il avait fallu le prendre, sur un t errain
en déclivité et franchement t rop dur; et puis Joseph lui
avait paru un peu trop pressé ; Flavien aimait prendre son
temps pour tout ce qu'il faisait, et s'était habitué à jouir
d'un certain confort. En rentrant à son hôtel il se mit à
composer d es vers avec une facilité qui l'étonna; le poème
commençait ainsi :

« Je ne crois plus guère au péché,
Et plus guère à I'amour non plus;
Aussi deviens-je un débauché,
Je goûte aux plaisirs défendus. >>
Mais la deuxième strophe ne vint pas; Flavien commençait
à se sentir fatigué.
... Il devait retom·ner au bourg le matin même pour y
téléphonel· à son agence, dont il avait retrouvé le numéro.
Joseph avait promis de l'attendl·e à dix heures, mais ne vint
pas. Flavien pensa qu'il le retrouverait peut-être le soir à la
guinguette; il l'y r etrouva en effet, en train de dîner en
compagnie de deux amis qui lui offrirent du vin résiné et
lui proposèrent de l'emmener, le surlendemain jeudi, passer
la soirée à Patras. L'un d'eux, qui s'appel ait Denis - Dionysos - possédait une voiture qui pour lors était en réparations pour avoir récemment rencontré un arbre, mais que
le garagiste avait promis de œmettre en état sans d élai.
Ils quittèrent la guinguette tous ensemble, puis Denis et
son compagnon annoncèrent qu'ils allaient faire une promenade sur le rivage, tandis que Joseph accompagnerait
Flavien. Celui-ci en conclut qu'ils connaissaient bien ses
p1·ojets, et, en ga1·çons bien élevés qu'ils étaient, voulaient
ainsi ne pas les contrarier. Mais en épicurien soucieux de
ne jamais ahnser des plaisir,; afin de ne pas en laisser le

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22-

PLAISIRS GRECS

goût s'affadir, Flavien avait ce soir-là la ferme in tention
de rentrer sagement se coucher. Il eut beau essayer de le
leur faire comprendre et les inviter avec insistance à ne
p as s'en aller, ils s'éloignè1·ent en indiquant à Joseph le
lieu où il pourrait les r etrouver. Celui-ci parut un peu
déconcerté quand Flavien le quitta après un simple baiser
sur la joue; il proposa un rendez-vous poul' le lendemain,
mais notre dilettante d 'avocat prit p rétexte de l'excur sion
qu'il devait faire à Olympie pour le reporter au jeudi, jour
prévu pour l e voyage à Patras.

Le jeudi soir, après une assez longue attente, il ne vit
arriver que Joseph, qui semblait ne plus se souvenir du
projet. Inten-ogé, il expliqua que l'auto n'était pas r épar ée; il avoua par la même occasion qu'une partie des
frais de réparations étaient à sa charge, car il se trouvait dans la voiture at1 moment de l'accident. Quand Flavien voulut échanger contre de la monnaie le billet de
cinq cents drachmes qui lui restait, il s'y opposa avec autant
d ' ardeur que d'habileté; curieux de connaître la raison d e
cette attitude et de vérüier ses conjectures, l'avocat n'insista
pas. En effet le gal·çon avait un urgent besoin de ce billet
tout entier : en plus de la note du garagiste, il devait faire
face, disait-il, à une traite destinée à payer l'achat d'un
pick-up. En échange du billet il promettait de revenir
chaque soir, ou aussi souvent que Flavien le désirerait.
Celui-ci refusa net le marché proposé, tout en regrettant
de ne pas être capable de donner au jeune homme un
témoignage de confiance qu'il aurait aimé lui donner. Il ne
pensait pas que la proposition fût un piège; mais il se dit
qu'il montrerait trop de faiblesse en l'acceptant. Il céda à
un désir un peu puéril de manifester sa volonté, en même
temps qu'à cette maladie d'indépendance qui lui rendait
presque impossible tout engagement, fût-il l e plus a gr éable.
Jamais il n'avait pu se résoudre à prendre un abonnement
à un journal ou à une revue; il achetait chaque jour Le
Monde, mais ne voulait pas qu'on le lui servît par obligation, ce qui lui aurait enlevé le sentiment d'être libre d'acheter un autre journal quand il le désirait. Or Joseph lui
proposait en somme un abonnement, une sorte d e contrat,
un lien, et Flavien se disait qu'il risquait ainsi de fermer
la porte à d'autres bonheurs de rencontre et à d'autres aven-

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23 -

i'llAURJCE BERCY

tures. Il aimait les repas variés où il ne goûtait que quelques
bouchées de chaque plat offert, s'efforçant même de faire
autant d'honneur aux moins bons qu'aux meilleurs, et se
réservant toujours assez d'appétit pour apprécier les der•
nières friandises; il lui arrivait même d'avoir faim e n quit•
tant les tables les mieux garnies. Il se méfiait de la satiété,
qui endort les sens et ressemble à la mort, et lui préférait
toutes les faims et tous les désirs, remplis de variété, d'ardeur et d'avenir. Son art n'était que d'en émousser l'aiguillon afin que leur piqûre devînt un chatouillement presque
agréable. A trente ans, Flavien pouvait à bon droit étonner
ceux qui le connaissaient bien; c'était un insatiable satisfait - et l'on pouvait même dire avec vérité et sans trop
jouer sur les mots que, connaissant l'insatisfaction que
donne la satiété, il était satisfait d'être insatiable.
Contrarié pourtant de son propre refus et voyant son
compagnon bouder, il pensa que son plaisir allait eu être
gâché et voulut prendre congé; mais Joseph s'y opposa
vivement; on se mit d'accord sur de nouvelles bases, et l'on
fit de la monnaie; par la suite Flavien se montra peu
complaisant; il lui sembla qu'il était de loin celui des deux
dont les services avaient le plus de prix, et que Joseph s'en
serait passé moins facilement que lui des siens. Chaque fois
j} devait retarder d'un jour ou deu..-.:: les rendez-vous que le
garçon, à ce qu'il sembl ait par goût du plaisir plus que de
l'argent, proposait toujours pour le lendemain.
Flavien ne devait cependant plus le revoir; en se 1·endant
à la guinguette où ils étaient convenns de se 1·etrouver, le
dimanche soir, il vit au bord de la route deux garçons qui
le regardè1·ent passer avec un peu trop d'attention, et l'un
d'eux le rejoignit quelques dizaines de m ètres plus loin
en lui demandant en anglais s'il était bien Flavien Touzet.
C'était un remplaçant envoyé par Joseph; il expliqua que
celui-ci avait dü partir à Athènes à l'improviste, à cause
cl'un accident de voiture survenu à son père. Flavien doutait fort que cette explication fût exacte, et même <pie
Joseph fût réellement parti. P eut-être avait-il découvert un
autre touriste? Ou bien avait-il prévu ce départ depuis
longtemps, ce qui aurait laissé supposer que l'affafre dn
billet de cinq cents drachmes était bien un piège? Bien
qu'avocat, Flavien n'aimait pas les enquêtes, et surtout ne
se sentait pas mal à l'aise dans l'incertitude; aussi ne
posa-t-il aucune question. D 'ailleurs le garçon se révélait
-

24-

PLAISIRS GRECS

extrêmement agréable. Ses yeux bleus, ses cheveux d'un
blond très foncé, son sourire facile plurent beaucoup à
Flavien, qui n'eut à regretter que deux détails d'inégale
importance : l'ongle long qu'il portait au petit doigt et son
ignorance du français. Il s'appelait Phanis. Toutes les
places étant occupées - on était dimanche - ils demandèl-ent à un homme qui se trouvait seul la permission de
~•asseoir à sa table; celui-ci parut charmé de trouver une
compagnie, et leur raconta en anglais et avec maints détails
ses soirées à Pigalle lors d'un voyage en France, il y avait
cinq ou six ans, puis ses souvenirs de la guerre, en Crète,
où il avait vu des soldats parés de colliers d'o1·eilles
humaines. Il inscrivit sur un papier son nom et son numéro
de téléphone en invitant Flavien à le revoir. Phanie, qui
dînait en suivant distraitement la conversation, offrait de
temps en temps à ses compagnons des brochettes piquées
au bout de sa fourchette.
Son compoxtement sembla montrer dans la suite qu'il
n'était pas aussi grec dans ses mœurs que Flavien l'eût
souhaité. Celui-ci eut l'impression de hù servir de succédané; l e culte de la virginité féminine, assez strict sous ces
latitudes, rendait sans doute difficile la satisfaction de ses
vrais appétits; il les trompait donc avec ses amis ou quelques
touristes, qni lui procuraient de plus son argent de poche.
Mais sa vocation était sans doute ailleurs ; il donnait un
peu l'impression de s'acquitter d'un devoir, et d'être pressé
d'en avoir fini. E n revanche, toutes les attentions et prévenances dont il manquait dans le plaisir, il les prodig uait
partout ailleurs, dans la rne, au café, et Flavien pensait
n'avoir jamais eu de compagnon plus agréable. Quand
celui-ci lui demanda de l'emmener avec lui à Athènes, où il
allait bientôt pal'tÎl' poul' une semaine, la proposition ne lui
déplut pas. Il objecta pourtant que sa chambre était déjà
r etenue et qu'il ne pourrait pas le loger; mais Phanis répondit qu'il lui serait possible de se faire r ecevoir chez sa
sœur, qui habitait la capitale.
Pourtant, quand Flavien r eparla le lendemain de ce projet, le garçon y avait déjà renoncé. Il faisait sans doute
extrêmement chaud à Athènes, disait-il, et finalement il
avait décidé de rester ici. L'avocat eut envie de lui proposer d'essayer de le loger, afin de savoir si le vrai motif de
ce changement de décision n'était pas d'ordre financier.
Mais c'eût été s'engager trop loin et il s'en abstint.
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25 -

PLAISIRS GRECS

MAURICE BERCY

visages, trop d'aventures, t rop d 'amours et pas d'amom·. Le
défilé fini et les lampions éteints, que resterait-il? Pourtant il savait qu'il ne chercherait pas à changer cette façon
de vivre; si les failles lui en apparaissaient, il connaissait
aussi celles de toutes les autres : l'ennui et les insatisfactions de la vertu aussi bien que les envers du grand amour,
les inquiétudes, les jalousies, les renoncements et les montagnes d 'illusions qui en sont la ran çon. Le choix qu'on fait
de l'une ou de l'autre de ces attitudes (en admettant
qu'elles ne nous soient pas aux trois quarts imposées) lui
paraissait au fond moins important que le com·age qu'on
apporte à accepter les risques d e chacune et à en subir les
inconvénients ... Du courage, oui, c'est bien cela qu'il fallait
dans son destin de papillon solitaire; mais n'en allait-il pas
ainsi pour tous ? Pourquoi se plaindrait-il de ce qui est l e
lot de chacun? Flavien était bien étonné d 'en venir à de
telles conclusions... S'il était né pour les petits bonheurs,
eh bien il saurait s'y résoudre; il continuerait de ne point
les mépriser et d'en goûter la saveur imparfaite . Il ouhliCl·ait
Joseph et Phanis, chercherait d'autres rencontres... Des
vers de Pindare étudiés autrefois lui revinrent en mémoire :
« Que suis-je? Que ne suis-je pas? L'homme est le r êve
d' une ombre. » Les passagers commençaient à quitter le
pont pour rentrer dans leurs cabines, tandis que sur la droite, les montagnes désertes de la côte étaient devenues toutes
noires. Flavien se dit qu'il valait mieux remettre au lendemain la suite de ces réflexions, et se dirigea vers le bar.

P h anis acceptait des rencontres moins tardives que celles
de Joseph. Il 1·evint deux fois au com·s de la semaine, ver s
dix-sept heures, après la sieste. Flavien regrettait d'avoir à
quitter Phanis, que sa beauté, son natuœl aimable et son
absence d' avidité rendaient décidément très attachant. I1
aurait aimé pouvoir le mieux connaître, savoir si à cette
séduction extérieure correspondaient des vertus plus profondes. Mais l es connaissances que l'on fait en v oyageant
ont toujours ce grave inconvénient d e 1·ester lamentablement incomplètes. Pour éviter d'avoir à faire d es adieux,
Flavien proposa un rendez-vous le jour de son retour
d'Athènes, une semaine plus tard. Il ne devait rester là
que quelques heures avant d'aller prendre le bateau pour
Brindisi, et se disait qu'il n'am·ait sans doute pas le temps
de revoir Phanis ; il se proposait de l'avertir en temps
voulu. Aussi l a séparation fut-elle aisée et sans apprêts.

En quittant Athènes, la semaine suivante, Flavien envoya
une carte postale pour décommander son rendez-vous. En
prenant l'autocar, il 1·etrouva pa1· le plus grand d es hasards
Denis, qui venait d e p asser quelques jom·s dans la capitale
avec Joseph; comme il ne connaissait que quelques mots
d'anglais la conversation fut très düficile. Flavien crut
cependant comprendre que Joseph n'était pas venu à
Athènes le jour où il avait envoyé Phanis le remplacer,
mais sensiblement plus tard; l'accident patern el paraissait
être pure invention. Les deux garçons avaient passé
quelques soirées dans les tavernes de la Plaka, et Denis
semblait exténué; il avoua n ' avoir dormi que deux heures
la nuit précédente. Quand au projet avorté d e voyage à
Patras, il ne semblait guère s'en souvenir, et Flavien ne put
même pas savoir si la voiture était à présent 1·éparée.

Il prit le bateau le soit- même et le voyage de retou r le
rendit pensif. Encore un beau souvenir... Plus tard il pourrait occuper sa vieillesse à se les raconter; mais peut-être
y trouverait-il plus d e peine et de regrets que de joie. Sa
vie n'était donc que cette poignée de sable et d e cailloux
durs qui l'un après l'autre échappaient à ses prises; jamais
il ne saurait en construire le moindre édifice. Trop de

-

26 -

t

'

MAURICE

BERCY.

UNE EFFRAYANTE BEAUTÉ
par R.F.

Il fut un temps où je ne pratiquais qu'un culte en
exclusivité : celui de la beauté. D'abord instinct puis
manie, cette idolâtrie gagnait chaque jour du terrain en
profondeur et virnit à l'obsession. J'en étais arrivé au
point lamentable où plus rien d'autre à mes yeux n'avait
de valem·. Peu m'importait que les gens eussent un cœur,
des sens, une âme génér euse, des gestes charitables s'ils
étaient laids ou seulement d'aspect quelconque. Le mépris
pour tout être ne possédant pas un corps harmonieux ou
un visage agréable m'était devenu un sentiment naturel à
force de pratique inconsciente.
Il fallait un Dieu dans mon Temple et j'avais placé
bien en évidence sur une armoire, une tête d 'Antinoü;
vissée sur un socle de bois verni.
Si ce moulage provoquait l'admiration des amis plus ou
moins gagnés à mes goûts, il causait e n revanche le
désespoir d 'une pe tite cousine âgée de quatre ans. La
frayeu1· de la gamine empirait à chacune de ses visites.
Ce qui avait paru étonnement au départ s'était mué en
crainte puis en véritable terreur. La dernière fois, une
crise de larmes m'avait oh ligé à cach er dans un placard
le Grec redoutable .
Ce jour-là, ce fut pire encore. J 'entendais sur le palier
les cris, les pleurs, les trépignements d e l'enfant qui
refusait d 'entrer. J 'eus beau l'embrasser, la cajoler, mes
efforts pour la consoler et la rassurer restèrent peine
p erd ue.
D'un p etit index rageur au bout d'une main tremblante
la fillette désignait la sculpture en répétant sans cesse entr;
deux hoqi1ets :
- Le Néouss... Le Néouss... Peur!
R ésolu à calmer cette crainte injustifiée, je pris mon
idole et la mis sous le nez de la gamine.
-

28-

- Voyons, Patricia, il n'est pas méchant. R egarde comme
il est b eau!
Hélas, la démonstration ne fut pas convaincante. Cris
et pleurs redoublèrent de violence.
Troublé et énervé pu cette scène, je lâchai mon fétiche
q ui se brisa sur le parquet.
Cet accident rendit illico la sérénité à la petite fille
qui ébaucha u n sourfre. Cinq minutes plus tard, elle
réclau1ait des bonbons et jouait avec entrain tandis que
je faisais disparaître les débris.
A dater de cet incident s'opéra ma mutation. D'abord
fm·ieux et navré, je sus presque aussitôt que je ne 1·emplacerais pas l'objet d'art cassé. Ceci sous prétexte d 'éviter
de nouvelles angoisses à ma petite cousine.
PouI"tant, quand j'y réfléchis avec le recul du temps,
je crois pouvoir affirmer que quelque chose en moi qui
ressemblait à une force mauvaise venait, du même coup,
de voler en éclats. J'é tais exorcisé. Dès cet instant, je
donnai un sens plus large à certaines expr essions consacrées
comme beauté fatale, beauté agressive, beauté du Diahle.
Je comp1·is enfin ce que la beauté, prise isolément, peut
avoir d e dangereux.
En descendant dans la rue, je ressentis confusém ent mais
intensément le changement qui venait de s'opérer.
Le ciel me parut plus bleu, le soleil plus brillant. Je
me pris à sourire à une voisine usée par les ans et le
travail. D'ordinaire, je répondais à peine, du hout des
lèvres, aux amabilités d e cette charmante aïeule.
J'entendis plus tard sur mon compte des réflexions
rassurantes. Il paraît que j'étais devenu moins sauvage,
plus sociable, plus humain même. Petite cause, grands
effets.
Aujourd'hui, le temps a fui, et l'évolution de ce petit
drame domestique ne me rend pas m ême m élancolique.
J e ne regrette ni ce passé futile ni la tête de plâtre. La
leçon valait bien un sacrifice. Le bénéfice que j'en ai
tiré pour l'harmonie de ma vie est sans commune mesure
avec les dégâts causés.
Patricia est devenue une gracieuse adolescente qui sonne
parfois à ma po1·te. R écemment, pour mon anniversaire,
elle est arrivée avec un gros paquet q ue je me hâtais de
déficeler. Horreur! C'était une tête d'Antinoüs, réplique
exacte de la disparue.

-

29 -

Ma cousine m'observait ravie, guettant ma l'éaction :
- Tu vois... Je répare. J'y ai mis le temps mais tout
arrive.
Devant mon manque d'enthousiasme, elle ajouta déçue :
- Mon cadeau n'a pas l'au: de t'enchanter!
- Ecoute, Patricia, nous n'avons pas de gêne l'un envers
l'autre? Alors, si tu n'y vois pas d'inconvénient, j'aimerais
mieux autre chose.
- Ah hon, fit-elle résignée. Quoi, par exemple?
- Je ne sais pas... Tiens, peut-être... des honbons.
- Parce que les têtes c'est périssable, chantonna-t-elle,
parodiant un air en vogue eu guise de conclusion.

R.F.

ÉTUDE -FONÇIÈRE

COLLOQUE D'ANVERS
LE 14 MARS 1965
Le colloque de Bruxelles ayant connu un réel succès et
s'étant avéré un moyen particulièrement efficace d'informer
l'opinion, il est apparu aux dirigeants du C.C.L./C.O.C. que
cette initiative devait être reprise. C'est ainsi que la section
flamande dont le siège se trouve au club d'Anvers mit sur
pied un colloque unilingue en néerlandais à l'occasion du
troisième anniversaire de sa fondation. Le C.O.C. avait loué
une grande salle en plein centre de la seconde ville de
Belgique. Comme à Bruxelles, s'y sont pressés des hommes
et des femmes d'œuvres, des ecclésiastiques, des sociologues
et même des personnes bien placées du Palais de Justice et
de la Police des mœurs. La présidence était, comme à
Bruxelles, assurée par M. le Dr V ermeire, fondateur et
directeur des « Cahiers de sexologie ».

et M. DE MONGALON
Introduction de Mme le Dr REYMEN-BOGAERT
ACHAT

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Prendre rendez-vous

-

30-

Si je prends la liberté de solliciter votre attention pour
quelques instants, ce n'est pas pow: vous présenter un aspect
purement scientifique de l'homophilie. Ce problème - et
tous sont d'accord ici avec moi - est en effet extrêmement
complexe et loin encore d'être éclairci quant à son cont enu
exact, ses causes précises et ses bases les plus intimes.
Le rôle déterminant certain du système endocrinien
(facteurs d'hérédité et déviations b iologiques), le rôle du
développement génétique perturbé que la psycho-analyse
s'efforce de déceler (les causes psychologiques éventuelles
ainsi que les facteurs culturels et du milieu viennent ici en
considération) ne sont ni éclaircis ni de certitude mathématique. Les études futures doivent y apporter lumière et
synthèse. En fonction de ceci voyons les conceptions évolutives de l'idée de « pe1·versité ».

-

31-

COI.LOQUE D'ANVERS

En psychopathologie, si nous laissons la parole à KraftEbing (en 1886), alors est pervers tout comportement sexuel
non orienté vers la rep1·oduction. Tandis qu'un Freud
considère comme perversité la dénatUl'ation des instincts,
nous trouvons maintenant chez des phénoménologues comme
Gebsattel que la perver sité existe lorsqu'il y a l'echerche de
destn1ction ou détournement voulu à l'éuard de l'amour et
du_ mar!age. Quant au Professeur Gies/ de Hambourg, il
Yo1t .~m1'.l~ement la perversité dans le comportement t otal
de hmhv1du.
D e toute évidence il devient impossible de déterminer si
tel ou tel comportement est pervers.
Si clone je prends la parole parmi vous, c'est simplement
par~e qu'on m'a demandé d'apporter mon expérience profess10nnelle et m a conception sur le problème. J e crois
que le problèm e de l'homophilie t el qu'il s'impose à notre
soc~été doit ê~re approché d'après la méthode phénoménologique et uniquement dans cette optique (c'est-à-dire comme le problèm e se pose dans son ensemble) que l'on peut
trouver les possibilités r ationnelles d'éclaircissement d'amélioration e t d'adoucissement de certains aspects de ia question. De plus, il m'apparaît clairement que, l'angle pratique,
le nœud de la question n'est pas de savoir quelle théorie est
la vraie ni de débattre si les homosexuels sont des malades.
des anorm~ux, des pervers, des déséquilibrés psychologiques,
des neurotiqnes, et c... Pour moi, le nœud du problème est
que l'homophilie existe, qu'elle fait partie de la vie, que,
partant, nous devons en tenir compte et tâch er de résoudre
à la hunièr e des progrès scientifiques les problèmes qu'elle
pose dans le d~maine ~iologique, dans le domaine juridique,
dans le domame social.Des savants comme Kinsey, Kollman_, W~st et ?'autres nous ont enseigné que la négation
systemat1que, l'ignorance puérile, l'indifférence totale autant
qu'une inutile exploration du problèm e homosexuel ne
constitue une justification poUl' celui qui, dans la société
~st chargé d'une mission d'éducation et assume une fonctio~
de direction et de conseil. Pour le médecin cela se situe
encore sur un autre plan. L'essentiel de sa profession r est e.
à c~ que je pense et selon ce que j'ai avancé dans une expli~
callon des « Nouveaux aspects de la sexualité humaine :t> de
donner une_ réponse à cette question implicite ou expli~ite
de tout patient : « Docteur, pouvez-vous m 'aider? :t>.
Eu ~g~rd aux connaissances nouvelles au sujet de l'homosexnahte et aux aspects plus humains que l'on reconnaît

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32 -

COLLOQUF: D'ANVERS

actuellement aux questions sexuelles, la réponse du médecin
peut s'avérer plus large et plus franche. Il ne suffit pas de
refiler le t ravail à un psychiatre ou à un neu_rologu e. Tout
médecin ayant une connaissance suffisante du cas doit pou,·oir donner une notion, un e orientation. En ce qui concerne
l'homosexualité, l a fonction et le rôle du médecin n'est pas
seulement de soigner (médicus) mais bien d'aller à la rencontre de ses frèr es en humanité. Mes études et ma pratique
ont dirigé mon intérêt et mon action essentiellement ver s
l'étude des rapports humains plus profonds entre homme
et femme pour en arriver à une lmion conjugale plus harmonieuse. Ceci n'est pas adéquat aux problèmes qui nous
1·éunissent ici. Mais cela m 'a pernus d'entrer en contact avec
certains aspects de l'homophilie. Les conséqu ences fatales
d'opinions ayant cours autrefois ch ez certains moralistes
et certains ecclésiastiques me sont apparues clairement bien
des fois e t notamment dans les cas où on avait donné l e
mariage comme thérapeutique à des jeunes accusant d C$
composantes homosexueUes. Il doit être établi une distinction entre l es invertis complets, les hi-sexuels et les homophiles occasionnels. Chaque cas est spécüique mais je pense
qu'il n'est jamais justifié de pousser au mariage un être
marqué des tendances homosexuelles sans que le partenaire
n'ent ait p arfaite connaissance. La désillusion et l'exaspération peuvent agu.· toute la vie et faire croître des troubles
sexuels achez d 'éventuels enfants d\m couple boiteux. Au
surplus, il m'apparaît comme indispensable que l'homme
aux penchants homosexuels ne s'engage jamais dans le
m ariage avant d'avoir acquis la certitude de parvenir à la
cohabitation nonnale. Sur ce point on doit peut-êti·e laisser
l a parole aux normalistes et aux théologiens. Conoborant
ceci. je voudrais citer un cas qae je n' ai pas expérimenté
moi-même mais qui m'a été dit par un professeur de l'Université de Louvain. Il nous a lu une lettre d'une jeune
fille consciente de la portée du fait que son fiancé avait des
pé riodes d'orientation homosexuelle avec des contacts. Elle
prétenda it lui apporter un amour suffisant, l'acceptait tel
qu'il était et voulait l'épouser. Plus tard, j'ai eu dans ma
clientèl e quelques cas de jeunes gens qui à l'occasion d'une
consultation pour un simple accident cutané m e demandaient conseil et assistance quant à leurs difficultés homo•
sexuelles. Dans un cas où les parents avaient très mal pris
la <-hose on me demandait de la compréhension et l'adresse
cl'un prêtre. Dans d'antres cas s'étalait une misère pl'Ofonde
rérnltant de l'incompréhension de la famille et de l'impi-

-

33 -

COLLOQUE

o'ANVERS

toyable ignoi-ance de la famille et du milieu. Pour ces cas,
une association telle que le C.C.L./ C.O.C. de laquelle il
sera peut-être question au cours de ce colloque peut s'avérer
cl'une grande utilité.
Pour conclure ces quelques idées, je voudrais vous dire
qu'à notre époque la plus grande nécessité est l'indigence
morale sm· difféi-ents plans.
L'intellectuel et l'homme cultivé ne peuvent rester insensibles et doivent tendre la main à tout être quel qu'il soit
et quelles que soient ses nécessités.
Introduction de M. le Dr SEVERY, neurologue
Nons sommes ici pour comb attre des préjugés et je vais
commencer par sacrifier à un préjugé.
J'ai assisté à maintes conférences et j'ai lu plus d'un
livre traitant de l'homosexualité. Chaque fois l'auteur
croyait indispensable de signaler qu'il n'était pas homosexuel. Je suivr ai la même voie, non par prévention
mais pour que l'on ne puisse présumer que je plaide prodomo. Il est donc acquis que je suis un h étérosexuel, que
j'ai femme et enfants et que je suis - pour autant que
je ne m'abuse et ne surestime mes qualités - un honnête
et vertueux citoyen. Ceci me confère le droit de parler
objectivement d'hommes qui se différencient de moi. C'est
un comportement scientifique malgré le caractère pa1·adoxal de semhlahle prise de position. Les homosexuels sont
l'objet de risées et on les montre du doigt. Seuls les hommes qui pensent et réagissent autrement qu'eux sont capahles
d'émett1·e un jugement à leur sujet.
Il n'est absolument pas dans mes intentions de prononcer
un plaidoyer pour ou contre l'homosexualité. En tant que
scientifique, je puis bien être partisan ou adversaire de
thémies données. Mais un fait est un fait et doit être
accepté. On peut en discuter mais on ne peut le nier. Si
nous portons des œ illères, nous pouvons peut-être ne pas
le voir. Cependant, que nous le voyons ou non, il subsiste.
Comme le disent nos voisins de l'Ouest : un fait est plus
respectable qu'un Lord-Maire. Le fait homosexuel existe.
De bon ou de mauvais gré, nous devons l'accepter.
Est-il utile de dire que l'homosexualité est un fait biologique généralisé. L'homme n 'est pas seul à avoir des activités
sexuelles avec des individus de son propre sexe. Tous les

-

34-

COLLOQUE D'ANVERS

animaux qui vivent sur terre en sont capables également.
Il suffit de priver les chiens dans la rue, des vaches en
prairie, des singes dans les cages d'un jardin zoologique
de leur partenaire normal pour qu'il devienne évident que
l eurs jeux érotiques s'exercent avec des individus de leur
propre sexe. Chez les humains, même dans les cas d'hétérosexualité les plus caractérisés, il y a toujours, dans le
processus du développement une période où les tendances
d'un être le portent vers quelqu'un de son sexe. Ceci est
abondamment démontré par la psychanalyse et apparaît
dans la littérature. Veuillez-vous reporter, quant à cela,
aux documents classiques et au film « Jeunes filles en unifo1·me » dont une nouvelle version vient d'être présentée
et qu'aucune censru·e n'a interdit. Il existe bien une différence foncière entre l'homosexualité non caractérisée,
inconsciente et animale de nos « frères inférieurs» et la
sélectivité de l'homophile humain dont l'intelligence et lme
évolution plus poussée sur le plan bio-psychologique implique une portée plus consciente. Non seulement chez les
peuples primitifs mais aussi chez les peuples hautement
civilisés, l'homosexualité fait partie in tégrante des institutions officielles et officieuses. Référons-nous poru· cela à
Lesbos et aux éphèhes de !'Antiquité grecque qu'on ne soupçonnera cer tainemen t pas de manque de ctùtu1·e.
Je le r é pète, on ne doit pas donner à mes paroles une
interprétation erronée. J e ne plaide pas pour l'homosexualité; je constate simplement un fait et ce fait subsiste toujours. La meilleure preuve que le fait homosexuel est pris
objectivement et même de façon neutre, nous la trouvons
dans notre Droit. Vous savez comhien le code belge est
sévère potlr les délits sexuels : m·iner contre un mur ou
se dévêtir chez soi sans rideau, pour autant que l'auteur
soit surpris, sont sanctionnés comme outi-ages publics aux
bonnes mœurs. Dans ce domain e les h omosexuels sont traités de l a même manièi-e que les hétérosexuels; ils ne sont
poursuivis que dans un n ombre de cas bien définis : outrages
publics aux bonnes mœurs, attentats à la pudeur et incitation à la débauche avec circonstances aggravantes si les
faits sont commis sur la personne ou en présence de mineurs
d'âge. En aucun cas, il n'est fait acceptation d'homosexualité
ou d'hétérosexualité. La législation belge a ici montré sa
sagesse. Malheureusement, ce n'est pas dans tous les pays.
Mais nous sommes en Belgique et nous ne pouvons rien
pour ce qui se passe au-delà des frontières.

-

35 -

COLLOQUE D'ANVERS

Le sujet que nous avons à traiter aujourd'hui est immense.
Ce n'est pas dans le cadre de cette réunion que tous l es
aspects de la question pourront être étudiés. En ce qui
me concerne, je voudrais très brièvement aborder deux
points : une question de définition et i.-in e question de
théra peutique.
Primo : de définition. Dans les ouvrages les plus classiques
sur la psychiatrie et la psycho-pathologie, l'homosexualité
se trouve classée sous la rubrique des perversions et des
déviations sexuelles. C'est fâcheux et dépassé. Cela résulte
d'une fausse notion des choses. Ce sont d'ailleurs les m êmes
auteur~ qui classent l'épilepsie, par exemple parmi les psychoses. N ous savons pourtant que l'épilepsie est une maladie
organique. Nous savons tout autant que l'homosexualité
n 'est pas une perversion. Elle est encore moins une maladie.
Sous l'angle statistique, dans une population composée
d'une majorité absolue d'hétérosexuels, l'homosexualité
apparaît comme une particularité, voire une singularité. Il
n'y a aucune raison de la taxer pour autant d'appellations
p•éjo1·atives et malve.illantes dont l'emploi dénote un esprit
peu scientifique.
Secundo : de thérapeutique. On peut grosso modo classer
les homosexuels en deux groupes : les vrais, les authentiques
et les faux, les occasionnels. Les faux homosexuels croient
qu'ils sont homophiles alors qu'à proprement parler ils
sont des h étérosexuels. En général, ce sont des jeunes qui,
par suite de certaines circonstances ont éprouvé leurs premiers élans érotiques sous l'influence d'un on plusieurs
homosexuels. Tôt ou tard, ils s'aperçoivent qu'ils marchent
dans une voie qui n'est plus la leur. Cela ne ce passe pas
sans-trouble. Ils se trouvent malheureux et ont besoin d'aide.
Une analyse appl'Ofondie de leur personnalité donne des
résultats positifs. Le médecin ou le psychologue consulté
peut combler leurs lacunes et les ramener dans leur voie.
Par contre, les vrais homosexuels n'ont absolument pas
l'impression de s'être m épris. S'ils se sentent malheureux
c'est exclusivement par suite des railleries auxquelles ils
sont exposés et par crainte des suites que pourrait entraîner
sur le plan professionnel, familial et social la découverte
de l eur particularité. Ils ne consultent jamais un médecin
d'initiative personnelle. Ils ne se sentent ni malades ni
infirmes. Si de bon ou de mauvais gré la famille les induit
à voir un psychiatre, celui-ci est impuissant. Au stade
actnel de la m édecine, la science ne peut rien. La cause de
-

36-

COLLOQUE

o'ANVERS

l'homosexualité reste inconnue. Aussi longtemps que l'on
ne l'aura pas découverte, tous .les efforts de la 'thérapeutique
restent vains et à l'état d'ébauche.
J 'achève ainsi d_e traiter ces deux points de façon très
cursive. Il va de soi que le sujet est inépuisable. Le débat qui
suivra va encore p1·ouver, je l'espè1·e.
Introduction du R. P. GOTTSCHALK, msf
L'exposé du R. P. Gottschalk repi-enant les idées qu'il
avait émises lors du colloque de Bruxelles, nous prions le
lecteur de s'y repol:ter (1) .
·
Une fois achevée la lecture des trois rapports introductifs
du débat, M le Dr Vermeire, président du colloque, appela
à la tribune des l'eprésentants des homophiles. Il est en
effet indispensable de parler valablement de l'homophilie
sans entendre les avis, les 1·éactions des homophiles eux•
mêmes. Ils connaissent en effet mieu.,x le problème que
quiconque puisqu'ils le vivent quotidiennement. Tous ceux
qui .se penchent sur cette question apprendraient phis en
étant homosexuels, ne fut-ce qu'une demi-heure s'il se po.uvait, que p endant des années d'études théoriques.

Le premier OI"ateur homophile fut le Secrétaire du C.O.C.
d'Anve1·s.
Il expliqua en peu de mots au nombreux public qui
n'avait jamais entendu le vocable C.O.C. ce qu'est cette
association, ses origines ainsi que ses objectifs. Il insist~
sur l'idée qu'il ne s'agissait pas au cours de ce colloque
de faire de la ·propagande pour l'association mais bien de
faire comprendre les buts qu'elle poursuit d'aider directe•
m ent ou indirectement les homophiles.
Directement : en amenant l'homophile dans l'association
afin qu'il apprenne à se connaître et à s'accepter. Il doit
apprend1·e à vivr e selon son mode de vie propre. Il doit
accéder à la paix avec soi-même et avec la société par la
suppression des tensions dont il est souvent l'objet : tension
avec soi-même, tension avec la société, tension avec Dieu
quand il est croyant.
(1) Arcadie, n" 143.

-

,3-7 -

COLLOQUE

»'ANVERS

Indirectement : en amenant la société encol'e si souvent
distante ou hostile à une meilleure compréhension. Cela se
réalise en l'éclairant sur la v1·aie natm·e du fait homosexuel.
Vient ensuite à la tribune M. le Dr Ton van Beek, membre du comité de direction du C.O.C. hollandais qui pose
quelques problèmes qui pounaient faire l'objet de discussions plus tard. Il précise qu'il n'est pas question pour lui
d'abo1·der l'aspect scientifique. Il ignore si l'homosexualité
est constitutionnelle ou acquise, il abandonne cela aux
hommes de science et cette attitude doit, selon lui, être aussi
celle du C.O.C. Quant à l'acceptation de soi-même, on arrive
à considérer que les homophiles ne sont pas les se1ùs à
l'affronter. Cela résulte, de nombreux contacts que l'orateur
a eu avec des gens mariés autant qu'avec des homosexuels.
Tous, lorsque nous abordons l'âge adulte, nous devons repenser les conceptions que nous avions acquises dès le
berceau ou qui réslÙtent de notre éducation familiale et
scolaire. Un hétérosexuel élevé dans un milieu puritain, par
exemple, trouvera de grandes difficlÙtés lors de sa confrontation avec les réalités sexuelles en déhouchant sur l'âge
adulte. L'homophile reprendra souvent les idées toute faites
qu'on lui a insufflées quant au péché, quant à l'ordre
de la création, etc... S'il n'est pas capable de refaire son
opinion quant à cel a il ne pourra pas accéder à l'acceptation de sa nature et partant, n'atteindra pas son stade
adulte.
L'orateur considère comme très importants les contacts
personnels. Il faut déplorer que nombre d'homosexuels ne
puissent, par crainte, pendant de longues années s'ouvrir
à personne. Lorsque cela se produit, il en résulte une émancipation, une libération évidentes et un progrès manifeste
dans les relations sociales. Un couple doit avoir des contacts
sociaux, c'est-à-dire qu'en tant que couple, il doit représenter
quelque chose pour l a société. Dès le début d'une amitié
homophile, cela peut représenter une difficulté. En tant
que couple d'amis, 011 ne représente rien pour personne
dans l a société, le couple homophile n'étant pas reconnu,
il se trouve retranché, isolé du monde.

-

38 -

FORUM
Contrairement au colloque de Bruxelles, celui d'Anvers
avait prévu beaucoup de temps pour la discussion; une
heure et demie durant laquelle des questions fm·ent posées,
des avis personnels émis. Ils ont montré avec quelle attention les rapports introductifs avaient été suivis et quel
puissant intérêt s1.1scite le sujet.
La première intervention provoqua un peu de remous
dans l'assemblée. EUe ne pouvait recueillir l'approbation
des homophiles présents dans la salle. C'était M. le Secrétaire
du Comité National Belge contre l'alcoolisme qui établit
un parallèle entre l'homophile et l'alcoolique.
1 ° L'homophile et l'alcoolique souffrent d'isolement; leur
appellation leur fait peur. Il en réslÙte dans les deux cas
de l'angoisse, de l'incertitude, de l'anto-apitoyement morbide.
2° Socialement, ils s'avèrent agressifs envers un monde
que ne les accepte pas. Ils se sentent incompris, se réfugient
dans une vie souterraine, ils portent un masque et jouent la
comédie.
3° Quant à leur étiologie règne une grande incertitude.
Les théories avancées quant aux deux phénomènes ne sont
qu'hypothèses. En fait on ne connaît rien des deux phénomènes.
Ceci dit, l'orateur en vient à poser les questions ciaprès :
l) La thérapeutique de l'homosexualité ne consisteraitelle pas en la mise sur pied de nombreux petits groupes
dans les différentes villes?
2) La thérapeutique doit-elle être individuelle ou collective?
3) Devons-nous traiter les homophiles d'une manière
paternaliste ou leur enseigner le moyen de s'en tirer euxmêmes?
4) Que pense-t-on de l'idée de créer de petits groupes
mixtes, par exemple six homophiles, six alcooliques, six
sujets normaux?
La réponse est bien claire et fournie par M. le Dr Severy.
Une thérapeutique, un traitement supposent une maladie.
Il ne peut donc dès d'abord être question de thérapeutique

-39-

COLLOQUE n'ANVERS

aussi longtemps que l'on n'a pas démontré que l'homosexualité est une maladie. On ne connaît pas les critères
qui font qu'un être est homosexuel ou hétérosexuel. L'homosex11el authentique ne se reconnaît absolument pas malade
et ne se sent pas malheureux. Que pounait-il aller chercher dans un groupe thérapeutique quelconque? On ne
doit parler de thérapeutique que pour les faux homosexuels,
les cas intermédiaires seuls posant des problèmes. L'alcoolisme, par contre, est bien une maladie. Les symptômes en
sont multiples : névroses, psychoses, toxicomanies. Ici, une
thérapeutique est nécessaire et le traitement collectif est
le seul efficace.

COLLOQUE o·ANVERS

Ün autre sujet est abordé par un médecin dans l'auditoire qui ~e déclai-e homosexuel. Il pose les deux questions
stùvantes:
1) Comment un hétérose>..'Uel peut-il arriver à comprendre
l'homosexuel. L'homosexualité continue à être regardée sous
une optique hétérosexuelle, peut-être parce que l'homosexuel n'ose pas s'affirmer.
2) Il i-ésulte de cei-taines recherches scientifiques :
a) que beaucoup d'homosexuels présentent une réaction
positive de grossesse;
b) que l'examen des urines enseigne que beaucoup
d'homosexuels accusent une teneur extraordinafre forte de
« pregnandiol », plus élevée parfois que chez une femme
noi-male;
c) en ce qui concerne le sexe chromosomique, celui-ci
n 'est pas féminin chez les homosexuels cependant que chez
beaucoup une grande quantité d'hoi-mooes femelles se renconti-ent dans l e sang.
Pour termine1·, ce médecin se dit intéressé à rencontrer
de nombreux groupes de jumeaux homosexuels pour pouxsuivre ses recherches.

Pour l'homosexuel, l'action collective n'a aucune valeur
sur le plan thérapeutique, mais le groupement en associations est utile afin d'éviter la solitude et être plus fort
contre les anathèmes de la société. Cest pourquoi, dit l'orateur, l'existence du C.C.L./ C.O.C. a toute mon approbation.
Le R. P. Gottschalk est aussi d'avis que la formation
d'association d'homophiles est très favorable. Il se réfère
pour cela aux groupes de contact pour homoplùles qui existent en Hollande. Nous ne devons pas, dit-il, nous comporter
de façon paternaliste à leur égard. Ils peuvent bien s'en
tirer tout setùs car ils sont entre des mains très capables.
Il peut tout au plus être question d'une certaine action
parallèle à la leur.
Pour l'orateur, il n'y a rien de commun entre les homophiles et les alcooliques; les deux cas se trouvent sur des
terrains différents. L'homosexualité est un phénomène inné
tout comme le daltonisme et l'albinisme.
Pour le R. P. Callewaerts, Professeur de théologie morale à Louvain, l'analogie entre homosexuels et alcooliques
n'est que superficielle. Chaque ivrogne se sent un malade,
se reconnaît plus ou moins coupable. Dans son cas une
thérapeutique collective se défend. Toute approche des
homophiles s'appuyant sm· ce thème serait à côté de la question.
Cette discussion s'achève par une intervention d'un psychiatre hollandais qui 1·uine définitivement la comparaison
entre l'homophile et l'alcoolique. L'alcoolique qui se livi-e
à son penchant devient une épave corporellement, spirituellement et socialement. L'homosexuel qui suit ses tendances devient un homme heuremc. C'est là une différence
essentielle.

M. le Dr Vei-meire, Président du colloque, entreprend de
répondre :
1) Ce sera très lahoi-ieux d'amenei- les hétérosexuels à
comp1·endi-e les bomosexuels alors que fréquemment il est
difficile pour l'homme de compi-endre la mentalité de la
femme. Il faut une certaine évolution avant de se comprendre. Cela ne se produira qu'à la longue. Si les homosexuels
se rendaient compte des difficultés que nous avons de les
comprendre nous am·ions déjà fait un pas inlportant;
2) Toute recherche concernant les origines et les signes
de l'homosexualité est encourageante. J e veux, dit l'orateur,
m'attacher à y collaboi-ex. Nous devons cependant ne pas
tirer des conclusions p1·ématurées de données limitées.
Le R. P. Callewaerts pense que l'aspect scientifique du
pi-ohlème n'est pas le nœud de la question pour l'homoplùle. Il souhaite qu'il soit traité de l'intégration de
l'homophile dans la société. Comment l'homophile peut-il
vivre avec ses données particulières et adapter sa vie à
celle des autres? Quels problèmes pose tout ceci pour
l'entourage, pour la vie publique, pour le moi-aliste, pour
le sociologue, pour tous ceux qui portent une i-esponsahilité?

-40-

-41-

COLLOQUE D'ANVERS
COLLOQUE D'ANVERS

Comment l'homophile peut-il personnellement ou par groupes petits ou grands vivre dans la société, y être heureux
et aussi, s'il est croyant, trouver une place dans son église?
Qu'attend-on sur ce p oint du moraliste? Et, pour être t rès
net, s'attend-on à ce que l'Eglise catholique Romaine en
vienne à un moment donné à bénir une amitié howophile
stabilisée comme un vi-ai mariage?
Un auditeur homophile qui a joué un rôle important
dans la création du C.O.C. Anvers, apporte une réponse
p1·écise. L'homophile, dit-il, attend d'être accepté dans la
société comme un autre humain. J e suis moi-même homophile, proclame-t-il, j'ai un ami, nous vivons ensemble et
nous sommes heureux. Notre voisine de palier trouve cela
tout-à-fait normal et nos autres voisins dans le building ne
se montrent nullement étonnés de ce que nous vivons à
deux. Ceci n'est h élas ! pas la règle. La plupart des homosexuels se sentent exclus de la société parce que les gens
ne reconnaissent que l'amour hétérosexuel. N ous attendons
que surgissent des hommes qui, en considération de ce
que les homosexuels sont des hommes comme les autres
et non des malades, prennent la 1·esponsabilité d'éclairer
l'opinion. C'est indispensable. Pourquoi, demande 1'01·ateur,
cela ne se ferait-il pas dès l'école, dès l'enseignement moyen
au moins en disant aux grands garçons que l'homosexualité
est tm fait, ce que ce fait comporte et l'attitude que l'on
doit adopter à son égard et ainsi éveiller une compréhension pt·écoce. Et qui devrait dispenser cet enseignement?
Des hétérosexuels, bien sûr, qui commenceraient naturell ement par se convaincre eux-mêmes de ce qu'en définütve,
les homosexuels sont des hommes au même titre que l es
autres.
M. le Dr Venneire, P1·ésid ent du colloque se déclare pleinement d'accord sur la nécessité d'une éducation sexuelle
dans le cadre familial et scolaü-e. Mais il y a encore bien
des 1·ésistances à vaincre. Et de citer des exemples de sa
vie professionnelle où il se heurte à des oppositions irraisonnées basées uniquement sur des préjugés.
M. le Dr Severy est d'opinion qu'il s'agit de préventions
injustifiées, préventions qui s'opposent au progrès en bien
d'aut res domaines et s'avèrent contre toute innovation. Il
cite notamment la réticence de beaucoup en ce qui concerne
les maladies mentales, la psychiatrie, etc... Il subsiste toute
une série de préjugés qui font que les gens se croient auto•

-42-

risé à juger leurs semblables et ne feront rien pour les
comprendre.
Le psychiatre néerlandais qlù a déjà pris la parole intervient à nouveau et fait remarquer que l'éducation doit
être faite objectivement que celui qui s'y emploie soit homosexu el ou hétérosexuel.
Une dernière inter vention sur ce sujet de l'éducation de
l'opinion vient de la part du Secrétaire du C.O.C. Anvers.
Il prétend que c'est l'homosexuel lui-même qui doit s'y
intéresse1· en premier lieu, non en prêchant, mais en montrant dans la p1·atique ce qu'est le comportement d'un homosexuel qui s'accepte et se comporte dignement dans la
société. En effet, d'où la société tire-t-elle son opinion de
l'homosexualit é si ce n'est des seuls homosexu els qui s'exhib ent et se font remarquer en public. Il cite l'exemple d'un
m éd ecin bruxellois qu'il a rencontré et qui fondait son
opinion de l'homosexualité sur ce qu'il avait vu dam un
bouge du port d'Anvers. La plupart des gens ne voient de
l'homosexualité que le côté négatif parce qu'ils n'ont sous
les yeux que les excentricités de quelques-uns. Ces individus ne représentent cependant qu'une infime minorité de
la masse des homosexuels qui se trouvent ainsi jugés et
condamnés sur les excès de quelques fantaisistes. C'est avec
plaisir, poursuit le Secrétaire, que je vois dans cette salle
des quantités d'homophiles qu'on ne saurait distinguer des
autres. J e demande à tous les homophiles de se comporter
toujours dignement. J e sais qu'il est souvent très difficile
à l'homosexuel de se présenter comme tel car dans l'hypothèse cela pourrait i-eprésenter un suicide sur le pl an social.
Mais tous ceux qui peuvent et qui osent s'afficher et se
conduisent nonobstant très bien contribuent pour beaucoup
à rectifier l'opinion des autres au sujet de l'homosexualité.
Un e collaboration de la Presse serait souhaitable, surtout
lorsqu'elle a à relater des délits sexuel s. A ce point de vue,
nous nous trouvons en Bel gique singulièi-ement en r etard
sur ce qui s'est fait en Hollande où le problème de l'homophilie a été évoqué à la T.V. et à la radio.
Le C.O.C. prend sa part dans cette campagne d'opinion
en tant que haut-parleur de l'homosexuel, qui, souvent,
peut ou n'ose parler à titre individuel.
Une question écrite porte stn· l'attitude à conseiller aux
parents qui s'ap erçoivent de l'homosexualité de leur fils.
Le Dr Severy y répond. Il faut en premier lieu s'assurer

-43 -

COLLOQUE D'ANVERS

qu'il s'agit d'un cas d'homosexualité réelle. Si on n'a pas
tous ses apaisements sw.· ce point, il faut demander l'avis
d'un psychiatre ou d'un conseiller moral. Si le garçon est
reconnu homosexuel, il doit être accepté comme tel par
ses pal·ents.
Le R. P . Gottschalk cite des exemples t irés de la pratique
pastorale et conclut que le fait de l'homosexualité chez un
individu doit êtJ:e admis par son entomage. On doit s'efforcer de l e comprendre. Il ne faut surtout jamais rien
lui reprocher et il sera utile de prendre contact avec des
éducateurs au courant de la question. Les parents en tireront grand profit, cela les aidera à comprendre leur fils
et les amènera à s'adapter à la situation. Il fait état de
nombreux cas où, grâce à son intervention, des parents
sont passés d'une opposition farouche à l'acceptation d'une
amitié valable.
Une dame dans l'auditoire voudrait savoir si l'homosexualité se présente aussi chez les femmes et si cet aspect
est assumé par les associations homophiles.
La réponse est assumée par le R. P. Gottschalk. Il ne
s'aventure pas à fixer un pourcentage ni à déclarer que
l'homosexualité féminine est plus ou moins fréquente que
l'homosexualité masculine. L'homosexualité chez la femme
est en général moins r emarquée que chez l'homme. D'autre
pru:t, les amitiés entre femmes p araissent plus dmables,
plus solides qu'entre hommes. Les dosages de masculinité
ou de féminité influencent beaucoup ces unions. L'orate ur
dit connaître des amitiés homosexuelles féminines qui
dui-ent depuis 10 et 15 ans. En ce qui concerne l'attitude
des parents, il signale, qu'en général, l'homosexualité de la
fille est en core moins acceptée que celle du fils.
Deux opinions sont ensuite émises au sujet de la différence qui sépare l'homosexualité foncière de l'homosexualité accidentelle. Le psychologue néerlandais a observé que
des individus peuvent dans le cours de leur vie connaître
des phases à dominance homosexuelle et d'autres à dominance hétérosexuelle. Il n'est pas assez, selon lui, tenu
compte de l'évolution naturelle.

L'heure étant venue de clore le débat, M. le Dr V ermefre
tire conclusions ci-apr ès que nous reproduisons in-extenso :

« Nous avons espéré qu'au cours de ce colloque, nous
am·ions appris quelque chose d'une m anière concrète au
sujet des h mnophiles. Cela s'est produit. Les homophiles
nous ont fait connaître leur point de vue. Nous continu ons
à compter de leur part sm· un apport positif et sur un
éclairage positif de leurs problèmes.
Chacun a le devoir, dans son milieu, d'agir pour modifier
la situation présente. Nous devons susciter un courant
d'idées afin d'amener les couches dirigeantes à une conception juste. Elles sont responsables de la survivance des
préjugés et non la femme de ménage.
Nous avons cru difficile d'accepter notre sexualité, disons
not:J:e hétérosexualité. Il importe peu de savoir si quelqu'un
est homosexuel ou hétérosexuel , mais bien que c'est un
être humain qui a le droit de vivre sa vie selon ce qui lui
a été donné en partage ».

JOHN RECHY

CITÉ DE L A NUIT
« La vie homophile, la nuit, en Amérique»

N. R.F. -

466 p. -

Un autre auditeur fait observer qu'il n'y a vraiment que
peu d'individus complètement homosexuels ou complètement h étérosexuels, ce qui est admis par la plupart des
hommes de science.

-

44-

-

45 -

24,30 F

LIVRES ANCIENS
LIVRES NOUVEAUX

POURQUOI JE NE SUIS PAS
CHRÉTIEN ET AUTRES TEXTES
de

BERTRAND

1

<l

RUSSELL,

Contrairement aux allégations mensongères des conformistes
américains qui, en 1940, par de misérables intrigues, firent annuler
sa nomination à une chaire de philosophie du Collège de New York,
lord Bertrand Russell n'a jamais eu de penchant pour l'homosexualité.
Mais cet esprit universel logicien, philosophe, historien, sociologue, moraliste, éducateur - , cet homme généreux uniquement
soucieux du bonheur de l'humanité est franchement hostile aux lois
anti-homosexuelles.
Les Arcadiens liront avec intérêt les bonnes pages que publie
Jean-Jacques Pauvert.
Russell examine et rejette les preuves traditionnelles de l'existence
de Dieu et de l'immortalité de l'âme. Il reconnait l'excellence de
certaines maximes évangéliques, auxquelles d'ailleurs, les chrétiens
n'ont pas manifesté un vif désir de conformer leur conduite : donner
ses biens aux pauvres, ne pas se battre, ne pas se rendre à l'église,
ne pas punir l'adultère, ne pas juger. Mais il désapprouve la fureur
vengeresse qui dirigait le Christ contre ceux qui n'acceptaient pas
son enseignement.
A ses yeux, le caractère le plus condamnable de la religion
catholique c'est son attitude à l'égard de la sexualité.
• Dans le domaine sexuel, notre moralité courante contient quantité
de choses qui doivent, purement et simplement, leur ori gine à la
superstition. •
• Presque tous les adultes appartenant à une communauté chrétienne sont plus ou moins malades par la seule raison que l'éducation
sexuelle était tabou au temps de leur jeunesse. •
Dans une prose incisive, l'éminent philosophe montre comment le
sens du péché qu'on a inculqué aux hommes dans leur jeunesse
devient plus tard cause de cruauté, de timidité, de stupidité.

(1) Coll. Libertés. 177 pages. J.J. Pauvert, Editeur. Prix: 3 F.

-46-

• Le christianisme soutient que la souffrance est le salaire du
pêché, et que c'est une bonne chose. Quel sadisme et quelle
pauvreté. •
S'élevant contre toutes les formes de bigoterie, il montre que les
préceptes moraux et religieux remontent à une époque où l'on était
plus cruel qu'on ne l'est aujourd'hui. La conception chrétienne de
la Sainteté, purement individualiste, a, selon lui, tort d'exclure l'action
sur le plan social.
« Aujourd'hui encore, les chrétiens confits en reli gion considèrent
qu'un homme adultère est plus pervers qu'un homme politique qui
touche des pots de v in, b ien que ce dernier fasse probablement
mille fois plus de mal. •
Les règ les morales ne devraient pas être des machines à broyer
l'individu et son bonheur :
« On doit reconnaitre que, en l'absence d'enfants, les relations
sexuelles sont une affaire purement privée, qui ne concerne ni l'Etat
ni les voisins. Il est certaines formes de sexualité qui n'impliquent pas
l'engendrement et qui sont actuellement punies par la loi : c'est là
pure superstition, car le sujet ne regarde personne en dehors des
intéressés. •
Souvent l'homosexuel est réduit à la solitude par la peur - tel
l'homme que montrait au temps du marc-carthysme le Western
« Le train sifflera trois fois• - . C'est cette peur que Bertrand Russell
trouve souvent à la racine de la méchanceté, et il demande aux
éducateurs de la combattre.
« Faire face à la pauvreté, au r idicule, à l'hostilité du groupe auquel
on appartient, demande du courage. •
L'envie est aussi à l'origine de la méchanceté:
« Un homme ou une femme dont la vie sexuelle est entravée sont
naturellement des envieux. Leur attitude se concrétise en général
par la condamnation morale portée contre ceux qui ont plus de
chance.•
Chacun sait que ce sont des homosexuels refoulés qui ont tendance
à traiter cruellement les homosexuels.
Dès 1873, Bakounine écrivait :
« Tout peuple, tout individu, est involontairement ce qu'il est et
il a le droit incontestable d'être lui-même... Le socialiste s'appuie sur
les droits positifs à la vie et à toutes les jouissances tant intellectuelles et morales que physiques de la vie. Il aime la vie et veut
en jouir pleinement... • (Voir l'ouvrage de la collection • Libertés •
consacré à Bakounine.)
M ais qui pouvait alors comprendre Bakounine?
Tandis que, cinquante ans plus tard, les formules de Russell, d'un
humour fort britannique, claquent comme des gifles sur la face fessue
d'un imbécile :
- Pour satisfaire • les moralistes • hostiles au Birth C ontrol • on
inflige une vie de torture à des millions d'êtres qui n'auraient jamais

-47-

dû voir le jour, uniquement parce que l'on imagine que les relations
sexuelles que n'accompagne pas le désir d'engendrer sont un signe
de perversité; mais tel n'est pas le cas si ce désir existe et même
s'il est à l'avance certain que l'être ainsi engendré sera un déchet
humain. • (Ce que je crois.)

de famille qui l'accusait de corrompre, comme Socrate, la jeunesse.
Cette femme intelligente ne voulait pas que sa fille écoutât les
leçons du plus grand homme qui eût enseigné à City College. Il
se trouva un juge • sic • - pour lui donner raison. • Les ânes.
dit Héraclite d'Ephèse, préfèrent la paille à l'or. •

- • La masturbation infantile n'a, semble-Hl, aucun effet néfaste
sur la santé, ni sur le caractère. L'influence malsaine que cette
activité peut avoir parait surtout imputable aux efforts faits pour y
mettre fin. Aussi ne saurait-on assez recommander de ne pas intervenir. • (Education et Vie Morale.)

Dix ans plus tard, le Comité Suédois décerna à Bertrand Russell
le prix Nobel de littérature, • en reconnaissance pour ses écrits divers
et significatifs où il s'est fait le champion des idées humanitaires et
de la liberté de la pensée.•

- • Le tabou de la nudité est un obstacle à l'équilibre sexuel...
Il n'y a qu'un moyen de combattre l'indécence, c'est de combattre
le mystère qu'engendre la notion de faute et partant l'impudeur.
Quoi de plus naturel par exemple et de plus sain que d'exposer son
corps au soleil, au grand air, et à l'eau? •
- • Je suis persuadé que la vie universitaire s·améliorerait intellectuellement et moralement, si les étudiants pouvaient contracter des
unions temporaires sans avoir d'enfants. Ce serait une façon modérée
et franche, ni vénale ni accidentelle, de résoudre le problème sexuel
et cela ne gênerait en rien les études. • (L'Education et le Monde
moderne.)
- • L'homosexualité entre les hommes tombe en Angleterre sous
les coups de la loi, mais non pas l'homosexualité entre femmes. Or,
il semble impossible de lever cette Injustice sans s'exposer à
enfreindre une autre loi pour cause d'obscénité. Quiconque a étudié
cette loi sait pourtant qu'elle résu lte d'une superstition et d'une
ignorance barbare. • (Mariage et Morale.)
Il faudra attendre les années 20 pour voir le Dr Hirschfeld fonder
à Berlin son Institut de sexologie et obtenir que la loi allemande
ne traitât plus l'homosexualité comme un délit, au mépris de tous
les droits de l'individu. On sait combien fut éphémère en Allemagne
ce recul de l'obscurantisme: un des premiers soins de Hitler, devenu
chancelier en 1933, fut de fermer l'Institut de sexologie, de rétablir
les lois anti-homosexuelles (qui subsistent toujours) et de détruire
sur un gigantesque autodafé sur la place de !'Opéra, à Berlin, plus
de vingt mille livres. Les imbéciles ne lisent pas Freud.
• Le Thersite d'Homère qui critique les rois est un personnage
qui se retrouve à toute époque, a dit Hegel. Il est vrai qu'il ne
reçoit pas toujours de solides coups de bâton, comme- à l'âge
homérique, mais la jaloùsie, l'opiniâtreté, sont l'écharde qu'il porte
dans sa chair. Le ver immortel qui le ronge, c'est le tourment de
savoir que ses bonnes intentions et ses critiques distinguées n'ont
aucune efficacité dans le monde.• C'est en 1940, qu'eut lieu l'assaut
du thersitisme contre Russell.

Prenant sa défense quand il était en butte à la meute des sots,
Albert Einstein avait écrit :
• Les esprits libres ont toujours provoqué une réaction v iolente de
la part des médiocres. C'est que ceux-ci ne comprennent pas qu'un
homme puisse ne pas se soumettre aveuglement aux préjugés ancestraux et qu'il s'en remettre avec confiance aux loyales délibérati ons de
son intelligence.•
SERGE

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. . .....

MICHEL DEL CASTILLO

LE FAISEUR DE RÊVE
« Qiwtre mmées d'cidolescence dans un Beigne d'enfants»

Ed. Ju1liard -

380 p . -

Alors qu'il enseignait à l'Université de Californie, il avait été nommé
à City College à New York. Sa nomination fut annulée dans des
conditions révoltantes à la suite de l'action en justice d'une mère

48 -

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